Humeur. Le tourisme, c’est de la confiture

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A défaut de performances dans nos hôtels, notre tourisme produit de plus en plus d’experts à défoncer les portes ouvertes.

 

Contrairement à ce qu’on a entendu sur le plateau de Nessma hier soir, le Conseil Supérieur du Tourisme n’est pas une nouveauté : il a été créé par Ben Ali en 2005 et a pu se réunir plusieurs fois sous la présidence de Mohamed Ghannouchi, alors Premier ministre. Ce Conseil est aussi prévu depuis 2012 dans la feuille de route du tourisme tunisien présentée par le ministre de la Troïka Fakhfakh. Alors, si le Maroc vient de créer son Conseil Supérieur du Tourisme, il doit peut-être des royalties à Ben Ali, mais certainement pas au réinventeur du fil à couper le beurre qu’est le président de la FRH de Tunis.

Ce dernier a cru bon, dans cette même émission, de nous assommer de comparaisons à dormir debout avec le Maroc, l’Egypte ou la France pour aboutir à des conclusions contraires à sa démonstration. Exemple : affirmer que la capitale d’un pays doit être un pôle de tourisme de congrès, pour nous dire ensuite que ce pôle est à créer à Enfidha. Pourtant M. Boudali et les autres invités de Nessma auraient pu rendre service au tourisme et au pays en posant la vraie question : celle du rôle d’un ministère du Tourisme.

En effet, contrairement à l’idée d’un “Conseil Supérieur du Tourisme” qui reviendrait à concentrer encore plus le pouvoir de décision entre les mains de l’Etat, le tourisme pourrait avoir besoin d’un désengagement de l’Etat. La question, la vraie, est de savoir si on a encore besoin d’un ministère à part entière pour un secteur à grande majorité géré par des privés. Et comme se le demandait la Banque Mondiale dans un rapport récent, l’Etat a-t-il encore besoin de gérer des terrains de golf ou des ports de plaisance ?

Dans le registre des comparaisons, le jeune président de la FRH aurait pu se demander pourquoi la première destination au monde qu’est la France a confié le tourisme non pas à un ministère, ni à un secrétariat d’Etat, mais à une direction au sein du ministère des affaires étrangères. N’est-ce pas parce qu’en France le tourisme est depuis longtemps géré par Atout France, lui-même issu d’une sorte de privatisation du service public puisque les deux tiers de son conseil d’administration sont constitués de professionnels ?

On reste toujours éberlué par ces professionnels pleins de bonnes propositions pour sauver le tourisme et qui ne pipent mot sur la seule réforme qui pourrait les mettre aux commandes du secteur et leur permettre d’appliquer enfin leurs idées. Cette fameuse réforme consisterait à scinder l’administration actuelle en une Agence pour la formation professionnelle et une autre pour la promotion ; c’est bien celle que compte mener Mme Elloumi. On n’en entend parler par aucun des professionnels qui hantent les plateaux de télévision. D’ailleurs, on n’entend pas plus ces professionnels sur l’absence de l’Open Sky ou sur notre inexistence sur internet qui nous prive d’une grande part du trafic touristique mondial.

Si nous pouvons comprendre les ambitions légitimes de l’un ou l’autre des professionnels qui veulent être calife à la place du calife, ne vaut-il pas mieux pour eux et pour le secteur qu’ils apportent la preuve de leur compétence à bien faire leur travail dans leurs établissements respectifs, avant de se prendre pour des experts ? Car malheureusement, il en va de la compétence en stratégie du tourisme comme de la confiture : moins on en a, plus on l’étale.

Lotfi Mansour