Tourisme saharien : l’immobilisme qui tue

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C’était un plan d’action que le ministre du Tourisme voulait exemplaire ; un plan présenté à l’approbation du gouvernement le 20 septembre et qui traçait une feuille de route sur trois ans pour sortir le tourisme saharien de son agonie, moyennant un budget de 6 millions de dinars. Ce plan, qui bénéficiait du soutien des deux fédérations professionnelles FTH et FTAV, a été remis aux calendes grecques par le gouvernement qui lui a préféré la « constitution d’une commission ». L’euphémisme du jargon gouvernemental pour signifier l’enterrement d’un dossier.
Il ne restait donc au ministre du Tourisme plus rien à annoncer pour la Journée Mondiale du Tourisme, commémorée à Tozeur le 27 septembre, qui s’est soldée par une bouderie avec les professionnels de la région.

Chute des nuitées de plus de 55%, 15 hôtels et 15 agences de voyages fermés, animation touristique quasi absente, détérioration alarmante de l’environnement et de la propreté. Faiblesse des liaisons aériennes avec l’Europe, disparition de la promotion – à tel point qu’on ne trouve plus de brochures touristiques de la région chez l’ONTT. Et pour couronner le tout, la zone est blacklistée sur les sites de nombreux ministères des Affaires étrangères de pays européens.
Tel est le bilan de la région du Sud et de Tozeur. Une situation dans laquelle le gouvernement ne sent aucune urgence, à part celle de créer une commission qui réfléchira aux solutions. Cette décision fait dire à un hôtelier de Tozeur, désabusé : « Le gouvernement a raison, le tourisme à Tozeur est mort ; et il ne sert à rien d’essayer de ranimer un mort ».

Certes, une partie de ce triste bilan est un héritage d’avant 2010. Mais cette excuse n’est plus valable après deux ans de gouvernement ; à moins que la philosophie d’Ali Larayedh ne soit de laisser les problèmes s’aggraver avant d’intervenir (ça devient une habitude après les affaires de l’ambassade américaine et d’Ansar Charia…).
En effet, le mal de Tozeur et du Sud est de n’avoir jamais réussi à passer du statut de région d’excursions à celui de véritable destination de séjour, que nous vantons pourtant dans nos discours et nos brochures. La durée moyenne de séjour à Tozeur et à Kébili n’a jamais atteint les deux nuits, contre une moyenne nationale supérieure à 6 nuits.

Pourtant, et c’est là la principale défaillance de ce gouvernement, il y a eu depuis deux ans deux projets d’investissement à même de transformer le Sud en véritable destination de séjour. Or ces deux projets sont à l’arrêt. Pour le premier, Tozeur Desert Resort de Qatari Diar, ce gouvernement ne semble pas trouver d’arguments pour convaincre les Qatariens (dont on le croyait proche) de construire l’hôtel, après leur avoir cédé un terrain de 40 hectares à un prix symbolique (voir notre numéro 16, mai 2013). Le second est The Residence Sahara Douz, dont les investisseurs n’attendent plus que le bon vouloir du gouverneur de la région pour régler un problème foncier survenu après qu’ils ont acheté et payé leur terrain (voir notre entretien avec Laroussi Guiga).

Mais au-delà de ces projets de luxe, Tozeur gagnerait à devenir aussi une destination de tourisme local. Pour cela, les deux vols hebdomadaires de Tunisair Express sont largement insuffisants, et leurs horaires mal adaptés. Le plan de redéploiement des liaisons Tunis-Tozeur proposé par Tunisair, instaurant un vol quotidien Tunis-Tozeur, et torpillé par le gouvernement était pourtant viable, notamment après la candidature de Syphax Airlines pour la reprise des liaisons Paris-Tozeur.
Dans ce même registre, pourquoi n’avoir pas pensé à encourager le lancement d’une hôtellerie économique adaptée aux moyens des investisseurs locaux et à la bourse des Tunisiens, sur le modèle de l’hôtel Palm Gîte (voir notre article) ?

Enfin, il faut rappeler que la durée de séjour dans le Sud tunisien, aussi faible soit-elle, est essentiellement réalisée grâce aux groupes incentives et évènementiels, étrangers et tunisiens, que drainent les agences de voyages. A ces agences, l’Etat tunisien et la CNSS, depuis 1990, avaient commencé par renier le droit aux avantages fiscaux prévus pour les promoteurs touristiques (car une agence de voyages, selon nos crânes d’œuf, fait de l’animation touristique et non pas du tourisme). Avant de leur reconnaître finalement ce droit en 2010.

Le Conseil ministériel du 20 septembre était censé ordonner l’application de cette décision datant de 2010 et « rétablir les agences de voyages dans leur droit », selon Mohamed Ali Toumi, président de la FTAV. Il n’en a rien été. Pour Mohamed Ali Toumi, cette non décision « suscite inquiétude et scepticisme ».

(photo : SudXtrême)

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