La dette sera traitée au cas par cas

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Ne lui dites pas qu’il est nahdaoui : il vous parlerait de son père et de l’éducation traditionnelle qu’il lui a transmise. Un père qui a dû vendre une partie de son héritage pour financer les études de ses fils et filles, et pour qui la seule “distraction” quotidienne autorisée pour ses enfants était les dessins animés et… les “directives présidentielles” de Bourguiba, juste avant le journal du soir. En somme, Jamel Gamra se décrit comme un Tunisien ordinaire. Sans grand risque de se tromper, on pourrait le classer, à l’issue de cet entretien qu’il nous a accordé, parmi cette frange qu’on dit minoritaire au sein d’Ennahda et qui croit que l’islamisme au pouvoir n’est que la continuité de la Tunisie d’antan.

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Votre adhésion aux thèses des professionnels du secteur, vos déclarations, notamment contre les réunions des salafistes dans les lieux touristiques… cela a de quoi surprendre de la part d’un ministre d’Ennahda. Que cache ce “sans faute médiatique” ? Où est la faille, monsieur le Ministre ?

Jamel Gamra
La question est directe et ma réponse le sera aussi. Je ne suis pas un politique. Je suis issu d’une famille conservatrice et je suis mu par les valeurs de cette éducation traditionnelle ; mon idéal, c’est peut-être mon défunt père qui a reçu le prix du “Père exemplaire”. Mon intention est de gérer ce ministère avec le pragmatisme du chef d’entreprise que j’étais.

 Permettez-moi de poser ma question autrement. Cette manière que vous avez de chercher à faire plaisir aux professionnels en déclarant, par exemple, que l’AMC est un projet virtuel – alors qu’il ne l’est pas – ou de dire que la taxe de 2 dinars pourrait être réaménagée comme le veulent les hôteliers… N’est-ce pas une manière pour vous, et donc pour Ennahda, de gagner du temps ? N’est-ce pas purement électoraliste ?

Jamel Gamra
Récemment, le secrétaire général de l’OMT me répétait des propos que lui a tenus M. Hamadi Jebali concernant le tourisme ; il lui disait : « Je ne vois pas un gouvernement se passer d’un secteur qui fait vivre un cinquième de la population et qui pèse tant dans l’économie nationale ». C’est ma position et celle d’Ennahda. Quand j’ai pris position contre les réunions salafistes à Hammamet, j’ai bénéficié ensuite du soutien inconditionnel de M. Ali Larayedh. Dans mon esprit, les intérêts du tourisme relèvent de l’intérêt du pays, et il en est de même au sein de tout le gouvernement.
Ceci dit, et concernant l’AMC, le mot « virtuel » était peut-être exagéré de ma part. Mais il n’empêche qu’en arrivant au ministère, je n’ai rien trouvé dans les dossiers de ce qui se racontait dans la presse, comme la cession d’hôtels à des groupes de tel ou tel pays. Cependant, l’importance de ce dossier m’a poussé à demander une entrevue, que j’aurai prochainement, avec le gouverneur de la Banque Centrale et le ministre des Finances pour voir ce qu’il en est exactement et trouver les solutions qui conviennent le mieux aux intérêts de notre économie.

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Le ministre Jamel Gamra avec notre rédacteur en chef Lotfi Mansour.

Quelles pourraient être ces solutions ? Un traitement “au cas par cas” pourrait-il être envisagé ?

 Jamel Gamra
Le traitement de ce dossier ne pourrait se faire qu’au cas par cas, l’objectif est de sauver le plus grand nombre d’unités.

Lors de la dernière assemblée de la FTH, vous avez parlé d’une triple restructuration au niveau du secteur : celle de l’offre touristique, celle de l’administration et, enfin, celle des organisations professionnelles. A ce propos, permettez-moi de vous poser une triple question :
1) la désastreuse manière avec laquelle s’est déroulée la dernière élection à la FTH a débouché sur des démissions en masse et des procès, et mènerait vers l’arrimage de la FTH à l’UTICA, souhaité par la nouvelle équipe. Est-ce que ce sont là des changements de nature à vous satisfaire, vont-ils dans le sens de la restructuration que vous évoquiez ?
2) La restructuration de l’ONTT est attendue depuis une vingtaine d’années, mais il semble que dans ce domaine “plus on en parle, moins on en fait”. On disait que Ben Ali ne voulait pas payer le prix politique et social d’une réforme qui impliquerait de “dégraisser” ce “mammouth” de 1 400 fonctionnaires. Qu’en est-il pour votre gouvernement ?
3) Concernant l’offre, au moment où nos principaux produits de diversification (thalasso, MICE, golf) perdent une grande partie de leur clientèle, vous parlez de « transformer les niches en véritables marchés ». Comment comptez-vous y arriver, avec quels budgets et quelles structures ?

Jamel Gamra
Concernant les professionnels, ma seule conviction est qu’ils sont indispensables pour l’avancement du secteur. En un mot, rien ne pourra se faire sans eux. Les exclure des décisions serait la meilleure façon de détruire le secteur. Dans ce cadre, j’ai besoin d’une profession forte et représentative ; peu importe qu’elle soit avec l’UTICA ou pas, l’essentiel est quelle soit forte et unie. La multiplication des fédérations ne pourrait que marginaliser le secteur. Cette conviction me vient de mon expérience à la tête de l’UTICA à Sousse, où le manque de représentativité de certaines professions empêchait l’avancement des dossiers. En cela, le travail fourni jusque-là par la FTH et la FTAV m’a agréablement surpris. J’ai trouvé que les présidents de ces fédérations étaient dynamiques, réactifs et d’une grande disponibilité. Monsieur Belajouza, par exemple, était partant, malgré son âge, pour des visites en commun même tôt le matin ou tard le soir, et je garde une excellente impression de la courte expérience de collaboration avec lui. Ceci n’empêche pas que les rapports entre les différents intervenants appellent à être revus pour définir les périmètres de chaque métier et éviter les conflits qu’on peut observer maintenant. C’est le chantier du Code de Tourisme, qu’il faudrait commencer en capitalisant sur le travail effectué auparavant.
Concernant les deux autres volets de votre question, j’estime que je suis chanceux puisque je trouve une stratégie prête à l’exécution et dont l’orientation générale me satisfait. Même si je reste persuadé que la définition du tourisme qui y figure devrait être élargie, par exemple, à la culture et à l’artisanat. Le tourisme ne peut plus se restreindre à l’hôtellerie et aux agences de voyages.
Partant du principe que ce secteur est essentiel pour notre pays, on devrait le sécuriser en l’enrichissant et, à plus long terme, en améliorant sa perception par le Tunisien. Cependant, il est évident que je suis contraint aujourd’hui de me consacrer d’abord à la réussite de la saison et aux dossiers urgents. Parmi ceux-ci figurent justement les nominations au sein de l’ONTT : je suis en train de les traiter aujourd’hui même (il montre un dossier portant la mention “Nominations ONTT”, ndlr). A ce sujet, je n’ai pas l’intention de “dégraisser” comme vous dites, mais de renforcer les postes qui le nécessitent. Je ne suis pas là pour désorganiser l’Office.

Concernant les produits de diversification, avez-vous procédé à de nouveaux arbitrages budgétaires en faveur de ces produits ?

Jamel Gamra
Comme je l’ai dit, ma priorité est de sauver la saison. C’est dans ce sens que je suis intervenu pour débloquer un budget pour la propreté des régions touristiques. Pour Djerba, par exemple, il a fallu traiter le problème urgent mais aussi penser à sa résolution à long terme. Elle est déjà engagée avec un appel d’offres international prévu dans les mois qui viennent, et dont l’objectif est de faire de Djerba une “île écologique”. L’ensemble de ce projet durera deux années pour un budget global de 16 millions d’euros.
En attendant cela, nous avons dû trouver des solutions d’urgence pour le traitement des déchets sur l’île. Nous sommes allés jusqu’à financer nous-mêmes un tronçon de route de quatre kilomètres car les habitants en avaient fait un préalable à l’acceptation des solutions proposées.
Aujourd’hui, nous suivons les quantités de déchets dans les diverses régions à travers un tableau de bord quotidien établi au niveau du ministère de l’Intérieur. C’est ainsi, par exemple, qu’on s’est aperçu la semaine dernière que les quantités de déchets non traités ont augmenté à Sousse. Renseignement pris, il s’est avéré qu’il y avait un problème avec un sous-traitant et nous avons dû renforcer les moyens de la région pour palier ce problème.

Une dernière question vous concernant. N’êtes-vous pas tenté, comme vos prédécesseurs, de mettre en avant, pour des raisons politiciennes, les entrées de touristes plutôt que les recettes ? C’est ce que vous venez de faire à l’Assemblée de la FTH en annonçant une augmentation des entrées françaises, qui portait sur une seule semaine…

Jamel Gamra
Si j’étais politicien, je n’aurais pas annoncé un objectif de sept millions de touristes mais un chiffre plus bas et plus facile à atteindre. Mon but est de mobiliser les acteurs du tourisme, et il me semble qu’un objectif chiffré sert ce but. Cependant, je crois que j’ai souvent associé cet objectif d’entrées avec un autre pour les recettes qui est de 3,4 milliards. Je le considère comme un objectif réalisable.

Propos recueillis par Lotfi Mansour