Feuille de route : il faut rectifier le tir

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La nouvelle Feuille de route du tourisme tunisien, promise par le ministère, s’avère une copie remise au goût du jour de la “Stratégie 2016” élaborée avant le 14 Janvier. Une actualisation qui laisse de côté l’essentiel, à savoir l’amélioration de la compétitivité du secteur et la restructuration de l’ONTT. Afin de permettre le débat le plus large possible autour de cette Feuille de route, nous en publions la version encore “provisoire” (voir notre document) assortie de nos commentaires.

En apparence pleine de mesures nouvelles et d’actions immédiates appelées “Quick wins” (gains rapides), la Feuille de route sert surtout, en réalité, à faire gagner un peu de temps à l’administration. Ce document contient des mesures certes utiles pour la plupart. Certaines ont déjà connu un début d’exécution depuis 2010, mais elles ne peuvent remplacer une politique.

La Feuille de route que nous sort le ministère du Tourisme, après cinq mois de gestation, cache mal l’absence d’une nouvelle ambition pour le tourisme tunisien. Ces “mesurettes” ne seront, en l’absence d’une vision nouvelle, que de l’aspirine – selon le terme utilisé par le Ministre lui-même –… avant que ce grand malade qu’est le tourisme ne soit obligé de passer au bloc opératoire.

En effet, si l’urgence d’apporter des solutions plaide pour l’utilisation d’une stratégie héritée du gouvernement d’avant le 14 Janvier, on ne comprend pas pourquoi cette même stratégie a été amputée d’un axe essentiel comme la réforme du cadre institutionnel, et notamment la réforme de l’ONTT. On comprend mal aussi l’oubli du chantier de l’amélioration de la compétitivité de nos entreprises, mise à mal après la Révolution, vu que ce sont ces entreprises qui nous permettront de réaliser la croissance espérée. Encore moins compréhensible, l’augmentation de la dépense moyenne par touriste – que l’étude Roland Berger prévoyait pourtant de doubler à l’horizon 2020 – n’a pas été citée par le Ministre dans les nombreuses interviews qu’il a accordées à ce sujet.

Pour toutes ces raisons (que nous détaillons ci-après), nous espérons que le ministère rectifiera le tir avant l’adoption de la version finale de cette Feuille de route.

Recettes en berne, un mal qu’on préfère oublier

Avec quelque 500 DT de recette par touriste (et seulement une centaine de dinars par nuitée), notre destination a toujours été détentrice du record de la plus faible recette par touriste parmi ses concurrents en Méditerranée (celles du Maroc, de la Turquie ou de l’Egypte se situant autour de 1000 dinars). Ceci n’a pas empêché nos ministres successifs de célébrer tous les ans, tous les mois et toutes les semaines, « les bons chiffres » des entrées aux frontières. Pire, notre croissance en termes de nuitées et d’entrées s’est accompagnée ces vingt dernières années d’une érosion de notre part de marché et d’une quasi stagnation de notre part dans les recettes touristiques (autour de 1% en Méditerranée et 0,2% des recettes mondiales) alors que des concurrents comme l’Egypte ou la Turquie multipliaient leur part par trois.

Loin de rompre avec cette mauvaise habitude, l’actuelle administration, pressée de redorer son blason auprès de l’opinion publique, la perfectionne. C’est ainsi qu’en l’absence d’une croissance réelle, on parle d’une limitation de la baisse de 50% ; un chiffre magique que quelques journaux ont vite converti en taux de croissance, écrivant par erreur que le nombre des entrées serait en augmentation de 50%.

Mais la forte chute des recettes en 2011, comme celle probable de cette année, ne semble chagriner que les seuls professionnels alors qu’elle affecte directement notre PNB. D’ailleurs, la contribution du tourisme à la croissance économique n’a cessé de s’éroder jusqu’à devenir nulle en 2009 et négative en 2011.

On aurait cru que de tels chiffres alarmeraient un gouvernement issu de la Révolution. Dans les faits, la nouvelle Feuille de route ne mentionne aucune mesure spécifique pour remédier à ce mal. C’est ainsi que le secteur MICE, générateur de recettes 3 à 4 fois supérieures à celles de la branche loisirs, ne bénéficie ni de stratégie et de budget spécifiques, ni de structure dédiée si ce n’est une cellule MICE sans moyens. Cette cellule, faut-il le rappeler, avait été créée en 2010 par le ministre Slim Tlatli, auquel on doit aussi la création d’une cellule Golf ainsi que l’ouverture du chantier des maisons d’hôtes.

La thalassothérapie est une autre branche génératrice de recettes. Mais sa promotion est confiée depuis trois ans à l’Office du Thermalisme qui n’a ni la vocation ni l’expertise pour le faire, et dont l’action se résume à une participation annuelle à un ou deux salons.

Certes, la perspective de l’Open Sky laisse espérer un développement du tourisme individuel ; mais celui-ci n’est pas forcément garant de meilleures recettes par touriste. Il nous reste alors le tourisme culturel. Mais on ne sait rien sur le programme envisagé, sinon que 2,8 milliards seront dépensés (déclaration de M. Fakhfakh sur Nessma TV) pour promouvoir avec “Atout France” « 4 sites culturels et naturels prioritaires ». Pourquoi 4 et non pas 7 comme le nombre de sites inscrits sur la liste de l’UNESCO ? et pourquoi “Atout France” dont l’expertise et l’impartialité sont sujets à débat en France même ?

Réforme des structures : circulez, il n’y a rien à voir

Toutes les études menées ces dix dernières années insistaient sur la nécessaire réforme de l’ONTT et la participation des professionnels dans la prise de décision, notamment par la création d’une structure mixte “public/privé” pour se charger de la promotion et de la commercialisation du secteur. L’étude du cabinet Roland Berger prévoyait une réorganisation du ministère du Tourisme et un recentrage de l’ONTT sur sa mission de promotion.

Après la Révolution, on s’attendait légitimement à une clarification des rôles de l’ONTT et du ministère, et surtout à un début de « renforcement du rôle du secteur privé dans la gouvernance du secteur », comme le prévoyait l’étude Roland Berger.

En lieu et place, la “nouvelle réforme” oublie cette recommandation relative à l’ONTT et ne retient que la création d’une « unité de pilotage par objectif ». Celle-ci aura, selon Elyes Fakhfakh, la mission de « veiller à la mise en place de la stratégie de développement du tourisme » ; elle sera, comme il se doit, présidée par le Ministre lui-même.

De plus, cette unité non encore créée « demandera », selon son non encore président Elyes Fakhfakh, la création d’un « Conseil Supérieur du Tourisme » qui aura, lui, « l’autorité suprême dans le secteur » (sic).

En fait de nouveauté, il s’agit d’un retour au bon vieux Conseil Supérieur du Tourisme créé par Ben Ali en 2005, qui lui permettait de gérer directement le secteur et les professionnels par Premier Ministre interposé. Il s’agit donc bel et bien d’une tentative de concentration de tous les leviers du secteur entre les mains du Ministre et de son chef de gouvernement.

Quid alors de l’ONTT et de sa réforme? La réponse du ministère est “Quick wait” : il est urgent d’attendre. Attendre la disqualification totale d’un Office en mal de réforme depuis une vingtaine d’années. L’ONTT deviendrait ainsi une coquille vide, sans cadres compétents et sans mission définie, à part l’exécution de tâches qu’on voudrait bien lui confier.

Pour ce qui est des professionnels, ils ne compteront pas plus qu’au temps de l’ancien régime. En l’absence de texte de loi et de structures dédiées, les promesses pour « plus de décentralisation et plus de partenariat public/privé » d’Elyes Fakhfakh n’engagent que ceux qui les croient.

Hôtellerie : l’assainissement c’est bien, la croissance c’est mieux

Le règlement du douloureux problème de la dette, sans doute nécessaire, ne sera jamais suffisant pour sauver notre hôtellerie. Au-delà de ce lourd fardeau, nos hôtels perdent de leur compétitivité année après année, et il s’ensuit une baisse continue de leur contribution dans la croissance économique du pays. Le cercle infernal dans lequel se débat notre hôtellerie depuis des années est celui d’une faiblesse des prix de vente qui s’accompagne d’une augmentation des coûts tant de l’investissement que des achats et des salaires ; une inflation des coûts qui n’est pas près de s’arrêter. L’issue pour eux est donc de mieux vendre et de baisser leurs coûts, et c’est à ces deux niveaux qu’ils sont les plus fragiles. En effet, deux constats résument la situation de notre hôtellerie :

– un parc constitué pour l’essentiel d’hôtels indépendants incapables d’accéder aux économies d’échelle que permettent les chaînes hôtelières. De plus, les rares chaînes tunisiennes sont en fait un assemblage sous une même enseigne de plusieurs sociétés juridiquement et financièrement indépendantes. Ces hôtels sont confrontés dans leur commercialisation à des conglomérats avec de grands moyens commerciaux ;

– une quasi absence de la fonction commerciale qui reste souvent le domaine du propriétaire ou du directeur général de l’hôtel. Une fonction qui reste peu valorisée, à tel point que les bons commerciaux tunisiens (on n’en compte pas plus d’une quinzaine) trouvent refuge à l’étranger dans les chaînes internationales.

Dans ce contexte, le rôle de l’Etat est d’encourager l’émergence de chaînes locales, les regroupements à vocation commerciale comme les chaînes volontaires, ou ne serait-ce que la mutualisation de certains moyens. De même, il est urgent de revaloriser la fonction commerciale au sein de nos hôtels en lui conférant par exemple un statut similaire à celui du directeur général (obligatoire pour l’ouverture d’un hôtel) et en lançant une formation de haut niveau portant sur la commercialisation des produits touristiques.

LM