Réformes : la déliquescence du système de gouvernance

Depuis une vingtaine d’années, le Tourisme tunisien est mis sous pilotage automatique. Les mêmes structures, les mêmes études, les mêmes méthodes, les mêmes reflexes sont reproduits. Avec la crise du Covid19, le temps est venu pour l’équipage de reprendre les commandes.

 

Comme nous l’écrivions dans notre précédent article, la crise du Covid19 va nous obliger à repenser les fondations mêmes du secteur. Et les réformes réussies de l’Espagne il y a vingt ans sont un exemple à suivre.

En Tunisie, cette crise survient en effet au pire moment pour nos structures publiques comme privées.
En février 2017, la Ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Selma Elloumi, constatait devant l’ARP « la déliquescence du système de gouvernance des structures de tutelle du secteur ». Dans la foulée de cette déclaration, on a restructuré la formation professionnelle et puis… C’est tout.
Nos fédérations professionnelles, quant à elles, peinent à se faire entendre et à récolter des cotisations suffisantes pour leurs frais de fonctionnement.

Les professionnels face au Covid19

Individuellement, beaucoup de nos “grands professionnels” ont montré leurs limites managériales, humaines et patriotiques en refusant, dans leur majorité, d’accueillir les membres du corps médical au sein de leurs hôtels. A quelques rares exceptions près – dont un patron de chaîne hôtelière honni ces dernières années – c’était un refus catégorique.

En Espagne, le Covid19 a été pour les hôteliers espagnols l’occasion de montrer leur parfaite symbiose avec l’Etat espagnol et se sont portés à la première ligne de la lutte contre la pandémie.
A Barcelone seulement, ce sont 2500 chambres dans 6 hôtels de luxe qui hébergent les malades convalescents.

En Tunisie, on a dû se rabattre sur un vieil hôtel fermé depuis deux ans pour le confinement de Tunisiens revenant de l’étranger. L’Etat devrait se résoudre bientôt à réquisitionner des hôtels.

Système de gouvernance : l’exemple espagnol

Trois ans après la déclaration ministérielle sur la déliquescence de nos structures publiques, et devant l’impuissance avérée des structures professionnelles, le moment est propice pour une refonte du système de gouvernance du tourisme tunisien.
Un système basé sur le partage des expertises et des compétences et où l’Etat resterait le “maître d’œuvre” de la politique touristique, comme c’est le cas en Espagne.

Voici ce qu’en disait l’ambassadeur de France en Espagne en 2015 : (voir source)

Dans un pays fortement décentralisé comme l’Espagne, les compétences en matière de Tourisme relèvent des gouvernements des Communautés autonomes (CA). Mais, conscient de l’importance du secteur, l’Etat n’a rien cédé de sa compétence générale de coordination des politiques publiques menées avec les régions et en lien avec le secteur privé…

L’organisation de la filière touristique espagnole apparaît ainsi des plus performantes grâce à sa capacité à fédérer et à susciter l’adhésion de l’essentiel des acteurs concernés, publics comme privés, autour d’une stratégie nationale. Sous l’impulsion du SETUR (Secrétariat au Tourisme), cette stratégie s’appuie sur les organismes suivants :
La Conférence sectorielle du Tourisme (présidée par le ministre en charge du Tourisme)
La Commission interministérielle du Tourisme (qui coordonne les actions des intervenants des différents ministères)
Le Conestur (Conseil national du Tourisme où siègent aussi bien des privés que des experts indépendants)
Turespaña (chargé de la promotion de l’Espagne)
Exceltur 

Ce dernier est ainsi décrit :

Exceltur est à la fois un think tank et un lobby du secteur touristique, qui réunit 24 des entreprises les plus emblématiques de la chaîne de valeur du secteur (transport aérien, ferroviaire, maritime ou terrestre, hôtellerie, tour-opérateurs, etc.). Les rapports et études qu’il produit font référence non seulement en Espagne, mais également pour des organismes tels que l’OCDE et l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT). 

C’est ce tissu d’expertise, d’entente et de coopération qui a permis à l’Espagne de parler comme un seul homme et de songer à la fermeture de ses frontières aux touristes étrangers jusqu’au mois de septembre. Sachant bien que ce choc sera amorti par le tourisme local (voir notre article).

Il est donc temps de transformer, comme prévu, l’ONTT en agence de promotion, et de renforcer les structures du Ministère en lui adjoignant un équivalent du CONESTUR espagnol ainsi qu’une Commission interministérielle du Tourisme.

Pour les professionnels, il est peut-être temps qu’ils songent à créer leur propre Exceltur.

Lotfi Mansour

A suivre demain, 3e partie : internationalisation des entreprises et innovation.




Les décideurs du tourisme se mobilisent pour le patrimoine

Le colloque sur le tourisme culturel organisé le 27 novembre par l’ONTT et MCM a réuni l’ensemble des professionnels du tourisme et de leurs fédérations, y compris la Fédération des guides agrées (FGAT), tous convaincus que le tourisme est une chance pour le patrimoine culturel et historique du pays.

_DSC2546

Organisé conjointement par l’ONTT et MCM (éditeur de letourismemagazine.com et tunisiatourism.info), le colloque “Tourisme culturel : ce qu’il faut changer” a permis de préciser les défis qui se posent au pays pour un développement du Tourisme culturel.
Le premier de ces défis, comme l’a souligné René Trabelsi, Ministre du Tourisme et de l’Artisanat, est la mise en pratique du partenariat public/privé (PPP).

En vidéo : extraits de l’allocution de René Trabelsi, Ministre du Tourisme

 


Nabil Bziouech, DG de l’ONTT, a pour sa part exprimé sa déception quant aux résultats de la convention signée il y a trois ans avec le ministère des Affaires culturelles et qui devait, entre autres objectifs, favoriser le PPP dans le domaine du tourisme culturel. (voir ci-après extraits de son discours).

Soumaya Gharsallah-Hizem, chercheuse à l’INP et ancienne directrice du musée du Bardo, a présenté un diagnostic de l’état du patrimoine culturel et de sa gestion. Son intervention sous le titre « Quelle gouvernance du patrimoine pour l’essor du tourisme culturel ? » (voir ci-dessous) dresse la liste des dysfonctionnements et carences existant tant au sein des structures publiques que de la part des musées privés.

Ces appels au changement dans la gouvernance du patrimoine, ainsi que les idées et projets évoqués par les professionnels présents, n’étaient pas pour déplaire aux représentants de l’Union Européenne, Vladimir Rojanski, et de la GIZ, Sarah Schwepcke. Ceux-ci ont présenté le programme “Tounes Wijhatouna” et le volet “tourisme durable et culturel” de ce programme (voir ci-dessous).
“Tounes Wijhatouna” est un programme d’appui (51 millions d’euros) à la diversification du tourisme tunisien, au développement de l’artisanat et à la valorisation du patrimoine culturel.

Malgré l’absence de l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle (AMVPPC), qui a décliné notre invitation, un consensus s’est dégagé lors de ce colloque pour que le développement du tourisme culturel ne se fasse pas au détriment du patrimoine, mais au profit de sa préservation en procurant les moyens financiers permettant une telle préservation.

 

Les actes du colloque “Tourisme culturel : ce qu’il faut changer”

colloque-bzioueche

Allocution de Nabil Bziouech, Directeur Général de l’ONTT (extraits) : N. Bzioueche -ONTT

colloque-rojanski

Vladimir Rojanski (Union Européenne) : le programme “Tounes Wijhatouna”  V. Rojanski Tounes Wijhetouna

colloque-schwepcke

Sarah Schwepcke (GIZ) : “Tounes Wijhatouna”, le volet “tourisme durable et culturel”  S. Schwepcke Tounes Wijhetouna-Volet tourisme

colloque-gharsallah

Soumaya Gharsallah-Hizem, chercheuse à l’INP : la gouvernance du patrimoine  S. Gharsallah Tourisme Culturel