Tous responsables !

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Cherche bouc émissaire désespérément : telle est l’attitude de nombreux intervenants du secteur. Alors que professionnels, administration et compagnie nationale ont leur part de responsabilité dans la situation actuelle.

 

Le sempiternel diagnostic de “la crise structurelle” du tourisme, servi à toutes les sauces depuis des années, est bel et bien un subterfuge pour ne pas désigner clairement le véritable mal qui ronge notre secteur, à savoir la crise de ses structures.

En effet, le tourisme tunisien est malade de ses structures, qu’elles soient privées ou publiques. Ne pas le dire, ne pas en tirer les conséquences permet aux uns et aux autres de se rejeter mutuellement la responsabilité de la situation actuelle, et de retarder ainsi l’éclosion de solutions qui ne peuvent être que concertées.

Un paysage d’entreprises atomisé

C’est ainsi que le paysage de nos entreprises du tourisme est dominé par des “indépendants”, des PME sans grands moyens, dans un secteur dominé par les grands groupes. Malgré les crises successives et malgré la catastrophe actuelle, ces entreprises ne songent pas au regroupement et semblent attendre un miracle qui viendrait de l’administration.

Chez nos hôtels, seule une minorité s’est investie dans une commercialisation dynamique et s’est dotée d’une direction commerciale digne de ce nom ; seule une minorité s’est investie dans le métier de l’hôtellerie.
Mais cette minorité vertueuse ne s’est pas senti la responsabilité de servir de locomotive pour le reste du secteur. Elle a même servi, involontairement bien sûr, à faire perdurer les faibles performances de notre hôtellerie dans le sens où elle a permis d’afficher des ratios moyens “acceptables”. Il en est ainsi du taux moyen d’occupation qui oscille depuis 25 ans autour des 50% grâce à une occupation élevée chez cette “minorité vertueuse”, avoisinant les 80%.
Cela nous permettait de ne voir que la moitié pleine du verre, alors que la moyenne d’occupation est aux alentours de 20% pour de nombreux hôtels dans le Nord et le Sud du pays. A Tozeur-Gafsa, par exemple, les hôtels classés 1 étoile affichaient un taux d’occupation de 2,2% en 2012 sans que personne ne s’en émeuve.

Les fédérations hors jeu

Côté fédérations professionnelles, le projet d’Union des Métiers du Tourisme, seul espoir pour les professionnels d’avoir une voix et un poids dans la prise de décision du secteur, est mort-né pour des considérations d’ego chez nos hôteliers. En 2002, l’étude de la Banque Mondiale mettait déjà le doigt sur le manque d’organisation de la profession. On y lisait notamment :
« La profession est sous-organisée et les contacts entre elle et les Pouvoirs Publics ne semblent exister qu’au sommet : aucune action concertée des professionnels, en dehors de celles initiées par les Pouvoirs Publics, ne semble exister. Cet état de fait se traduit notamment par la difficulté à disposer d’informations fiables sur les produits et les clientèles, autres que quantitatives. La fédération de l’hôtellerie apparaît plus comme une organisation d’investisseurs que comme un syndicat de professionnels de l’hôtellerie ». Quinze années plus tard, le diagnostic demeure d’actualité.

Depuis ce rapport, la FTH n’a pas trouvé le chemin pour se transformer en une force de proposition et d’action, malgré une étude de restructuration prête depuis 2011 et financée par l’AFD (Agence Française de Développement). Une étude dont les recommandations visaient à « la redéfinition des missions de la FTH… en privilégiant le fait qu’il faille sortir du rôle de “suiveur” et de “revendicateur” pour avoir un rôle pilote dans les actions de développement qui touchent le secteur ». Cette étude, et la restructuration qui devait en découler, sont restées lettre morte.

Parmi les réformes que nous sommes en droit de regretter aujourd’hui, on peut citer la création d’une “agence de promotion” qui aurait été pilotée selon le principe du partenariat public/privé. Cette création est restée suspendue, il est vrai, à la réforme de l’ONTT ; une réforme dont on n’entend plus parler aujourd’hui.

Une administration hésitante

A propos de l’ONTT, justement, cette structure primordiale dans la conduite du secteur n’a, pas plus que la FTH, réussi sa mue. Elle lui aurait permis d’acquérir la souplesse nécessaire à l’accomplissement de sa mission, comme le recommandait déjà en 2002 le rapport de la Banque Mondiale.

Le ministère du Tourisme a souffert d’un turn-over record de ministres, l’empêchant d’organiser une défense efficace du secteur au sein du gouvernement. Un gouvernement qui, depuis cinq ans, a failli à sa mission essentielle d’assurer la sécurité des biens et des citoyens, et même d’assurer un minimum de propreté aux villes et aux sites touristiques du pays. Un gouvernement qui a longtemps conditionné la conclusion des accords d’Open Sky au redressement de Tunisair, tout en autorisant cette dernière à délaisser le trafic charter (et donc le tourisme). Sans comprendre qu’en faisant ce choix “stratégique” d’abandonner le charter, la compagnie nationale se prive d’une source principale de revenus et de redressement.

La myopie de Tunisair

Cette myopie de la compagnie nationale continue à ce jour avec le marché russe, seul espoir de sauver un tant soit peu la saison en cours. En effet, Tunisair nous annonce comme une bonne nouvelle son « intention » de mettre en place deux vols réguliers par semaine sur Moscou. La mauvaise nouvelle, c’est que Tunisair semble espérer remplir ces vols avec un trafic ethnique qui n’existe même pas, et sans recours au trafic charter puisqu’il ne figure pas dans sa stratégie.
Tunisair programme en effet ses vols au mois de mai (le temps de perdre encore les touristes du printemps…) et ne pense à contacter aucun TO pour remplir ses avions en blocs-sièges.

On a beau chercher, on ne trouve aucune logique à de telles annonces, sinon la volonté de chahuter le programme de vols de Nouvelair sur la Russie (4 vols réguliers à partir du mois de mars, dont 2 pour Moscou et 2 pour Saint-Pétersbourg).

Tous responsables, personne n’est coupable

On pourrait allonger la liste des griefs envers les professionnels ou l’administration, tant nous sommes tous responsables de notre malheur par manque de concertation ou d’imagination.

Il est temps de se mettre autour d’une table pour proposer, et non plus pour invectiver.

Lotfi Mansour