Historiquement, nos entreprises hôtelières ont été créées et se sont développées dans l’ombre des TO. C’est donc naturellement que ces “hôtels sous-traitants” se sont plus occupés de l’exploitation que de la commercialisation. C’est ainsi que la Tunisie a pu compter sur une lignée de directeurs techniques réputés. Les crises successives qu’on a connues depuis la Guerre du Golfe ont certes poussé ces entreprises et l’administration à rechercher des parades à la défection de la demande et à la baisse des marges bénéficiaires. Mais ces réactions aux crises restaient limitées au produit, et n’ont jamais touché au management des hôtels ni à leur commercialisation.
Il en est ainsi de la montée en gamme des hôtels, limitée aux bâtiments et aux équipements. Il en est de même de la construction effrénée de centres de thalassothérapie, piscines couvertes et salles de fitness, du lancement de “nouveaux produits” etc. Un ensemble de choix supposés stratégiques et qui, on le constate aujourd’hui, n’ont pas amélioré la rentabilité des hôtels, ni même assuré la survie de certains. Et ce, pour la simple raison qu’ils étaient quasiment tous inspirés par les TO. Le All inclusive était une autre “belle idée” des TO qui a anéanti le peu de savoir-faire dont disposait notre personnel hôtelier. Encore quelques années et celui-ci oubliera même la notion de service…
Aujourd’hui, la crise que vit le tourisme tunisien est triple. Elle concerne la demande qui fléchit sous l’effet du marasme économique en Europe. Elle concerne notre destination qui fait peur au lieu de faire rêver. Elle concerne enfin les TO, qui voient leur modèle économique remis en cause et se voient obligés de partager leur gâteau avec les OTA et autres spécialistes du e-commerce.
Face à cette triple crise, nous semblons encore creuser ce même sillon – et notre tombe du même coup : “nouveaux produits”, nouveaux modes d’hébergements, et même un “tourisme alternatif” pour lequel nous devrions créer des modes d’hébergement eux aussi “alternatifs”. Comme si on avait besoin de la machine de l’Etat et des crédits de nos banques pour construire des gîtes ruraux. Quid de nos 860 hôtels classés avec leurs 242 000 lits aux trois-quarts vides ? Sur ces 860 hôtels, combien resteront ouverts dans dix ans ?
Face à l’hécatombe actuelle des hôtels du Sud tunisien et de Tabarka, et à celle qui s’annonce parmi les hôtels endettés, que proposent l’administration et le gouvernement, si ce n’est un nouveau code des investissements qui veut instaurer de nouvelles zones prioritaires à l’investissement touristique et donc de futurs “jeunes promoteurs” et de futures hécatombes ?
La vérité est que, à part quelques rares chaînes hôtelières créées ces vingt dernières années, notre hôtellerie est restée très artisanale, constituée à près de 80% d’hôtels indépendants, dont l’écrasante majorité est mal outillée pour affronter le marché.
A l’heure où les TO renoncent à la location d’hôtels, et même à l’allotement ferme de lits d’hôtels et de sièges d’avion, comment nos hôtels indépendants vont-ils se commercialiser ?
A l’heure où la visibilité d’un site marchand sur internet n’est même plus à la portée de nos plus grandes chaînes, quel est le sort promis à ces hôtels à la gestion hésitante et aux moyens inexistants ?
A l’heure où, ailleurs dans le monde, le remplissage des hôtels est confié à des équipes de Revenue managers, combien parmi nos hôtels disposent d’une équipe commerciale digne de ce nom, ou même d’un simple directeur commercial ? En dehors des hôtels de ville, ne sont-ils pas une infime minorité ?
Pour répondre à ces questions que beaucoup ne se posent même pas, on devrait commencer par mettre au rencard nos vieilles boîtes à outils. Pour les hôteliers indépendants, il est temps qu’ils se donnent les moyens des chaînes intégrées en s’unissant, sous une forme ou autre. L’expérience des chaînes volontaires serait à méditer. Des chaînes qui seraient de véritables entités commerciales et non des clubs informels. A défaut, il faudrait que ces hôteliers dissocient la gestion de la propriété, et confient leurs unités à des gestionnaires compétents dont le pays regorge.
A ce stade, l’administration doit, de son côté, cesser de nous rebattre les oreilles avec des discours issus des rapports de la Banque Mondiale, et mettre en place des incitations financières et fiscales qui valorisent notre seul et véritable capital : le savoir-faire de nos cadres. Pourquoi pas un plan d’encouragement à l’internationalisation de nos entreprises touristiques, comme l’a fait l’Espagne il y a quelques années ? Pourquoi pas une “prime à l’union” pour favoriser la naissance de chaînes volontaires ? Pourquoi pas une banque spécialisée dans l’investissement immatériel ?
Lotfi Mansour