« I want my money back »

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Quand le tourisme peut financièrement se suffire à lui-même…

Le secteur du tourisme est-il condamné à vivre de projets de réforme qui ne feront qu’attendre, « faute de budget », comme on se plait à le dire depuis des années ? Est-il condamné à vivre au rythme des programmes que tel ou tel bailleur de fonds voudrait bien lui accorder ?

Au risque de choquer les gourous du ministère des Finances, la réponse est non.

Prenons le cas de trois surtaxes appliquées exclusivement au secteur du tourisme et du voyage :
– le timbre de voyage payé par les voyageurs résidents,
– la taxe d’hébergement payée par les touristes séjournant en Tunisie,
– et la taxe FODEC payée par les entreprises de tourisme.

Ces surtaxes représentent (année 2019) 166 milliards pour la première (sans compter les résidents étrangers et les étudiants), 50 milliards au bas mot pour la deuxième, et environ 10 milliards pour la troisième, soit un total de 226 milliards chaque année qui tombent dans l’escarcelle de l’Etat ; ceci en plus des milliards que payent le secteur et ses entreprises sur leur exploitation et leur chiffre d’affaires en devises sans qu’on leur reconnaisse un quelconque statut d’exportateur.

226 milliards de millimes (266 millions de dinars) chaque année donc, soit presque deux fois le programme Tounes Wejhatouna et ses 50 millions d’euros sur cinq ans.

226 milliards, soit plus de 5 fois le budget de promotion de la destination.

226 milliards, de quoi financer l’ensemble des réformes prévues par les Assises du Tourisme.

226 milliards qui permettraient largement de financer deux projets structurants nécessaires (et pas suffisants) pour mettre notre secteur sur la voie du salut.

 

Deux projets structurants

• Gouvernance et décentralisation

Puisqu’il est évident que la promotion des régions et la création de marques régionales ne pourront se faire avec des Commissariats au Tourisme dont le budget suffit à peine à leur fonctionnement, et puisque notre ministère a approuvé la création, via le programme Tounes Wejhatouna, de DMO ou organismes de gestion de destination dans plusieurs régions, le temps n’est-il pas venu de réfléchir à la pérennité de ces DMO ? Ne faut-il pas dès maintenant penser à transformer tous les Commissariats en Offices de Tourisme régionaux qui seraient, comme cela se fait ailleurs, gérés sur le principe des DMO et financés par la taxe d’hébergement, soit 50 milliards à répartir sur 17 régions selon leurs nuitées ?

• Développement du tourisme local

On peine à trouver un responsable de l’Administration ou des fédérations professionnelles qui soit contre le principe d’un développement du tourisme local. Cependant, aucun plan de développement concret n’a pu voir le jour.

Aucun responsable ne s’est posé la question de savoir comment faire passer le tourisme intérieur de quelque 15% ou 20% de l’activité du secteur à au moins 50%, comme c’est le cas dans les destinations où le tourisme est stratégique pour l’économie du pays (dans les pays de l’OCDE, le tourisme interne représente une moyenne de 75% de l’activité touristique).

Il s’agit donc bel et bien d’élargir le marché intérieur à de nouveaux consommateurs qui n’ont pas eu jusque-là l’envie ou les moyens d’y accéder. Il est évident que cet objectif de multiplier par 3 la taille du marché local n’est pas réalisable par les promotions tarifaires épisodiques que pratiquent nos agences de voyages et hôtels.

Sans entrer dans les détails de la proposition, inopérante et insensée, avancée par certains de confier les chèques vacances aux émetteurs des chèques restaurants, il est évident que l’élargissement du marché intérieur passe par un soutien à la demande dont l’un des mécanismes serait la création d’un fonds de tourisme social, à l’instar de ce qui existe dans des pays bien plus libéraux que nous.

Faute d’un consensus sur un organisme émetteur de chèques vacances qui consacrerait une partie de ses revenus à faire partir en vacances des Tunisiens qui ne le peuvent pas, le timbre de voyage peut, en partie, alimenter un tel fonds de tourisme social.

Mieux encore, le timbre à lui seul peut alimenter un « fonds de développement du tourisme local » qui assurerait les bouffées d’oxygène dont nos entreprises ont besoin en temps de crise et durant les saisons basses.

On entend déjà la réponse standard de nos financiers : une taxe qui entre au trésor public est définitivement blanchie (noircie ?) en « argent public ». Oui, mais pas quand il s’agit de taxe à la limite de la légalité. Le timbre de voyage est, en effet, une aberration tunisienne qui restreint le droit au déplacement et au voyage. Une taxe liberticide qui pourrait retrouver un semblant de légalité si elle était justifiée par la solidarité avec les Tunisiens qui ne peuvent jouir du droit constitutionnel d’accès aux loisirs, et à celui de connaître leur propre pays.

Quant à la taxe d’hébergement, destinée à faire payer aux touristes une quote-part pour le soutien aux produits de base qu’ils sont censés consommer, elle deviendra bientôt caduque du fait du remplacement annoncé de cette politique de soutien par une aide ciblée aux plus démunis…

 

« I want my money back »

« I want my money back » pourrait presque être un slogan pour une prochaine manifestation des professionnels du tourisme. Une phrase devenue célèbre depuis qu’elle a été prononcée par Margaret Thatcher en 1979, lors d’un sommet de la communauté européenne, et par laquelle elle signifiait qu’elle n’était plus prête à donner aux institutions européennes plus qu’elle n’en recevait.

Le secteur du tourisme tunisien et ses entreprises peuvent, eux aussi, en dire autant, et réclamer un traitement de la part de l’Etat à la mesure de leur apport aux caisses dudit Etat.

L’argument du « manque de budget » n’est plus recevable quand il s’agit de la survie d’un secteur.

Lotfi Mansour