Elections : les dangers de la fraude soft

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Il existe plusieurs moyens d’influer sur une élection : l’intimidation en est un, comme on l’a vu à l’œuvre récemment à Djerba. Mais des élections mal préparées, sans règle claire et sans instances de contrôle fortes peuvent aussi ouvrir la porte à une fraude soft susceptible de faire basculer le résultat. C’est pourquoi l’ISIE est essentielle. Démonstration par les élections pour la présidence de l’UMP en France :

«Devant la permanence de l’UMP une longue queue de militants s’étire sur le trottoir. Une dame âgée éructe : “Cette organisation, c’est du grand n’importe quoi !” Sous son chapeau du dimanche, elle vibre d’indignation. Comme elle, de nombreux militants renonceront devant les deux heures d’attente annoncées. Un seul bureau de vote pour trois villes (Neuilly, Puteaux, Courbevoie) et près de 4000 personnes inscrites sur les listes… Une aberration, là où un bureau “normal” compte 800 à 1000 inscrits. La raison de cet encombrement ? “Le bureau est à majorité filloniste”, explique Sébastien Kopec, délégué de liste pour l’ancien Premier ministre. (…)
« Sûrs de leur fait, les fillonistes, avec des sondages plus favorables les uns que les autres comme unique boussole, marchaient vers la victoire. Le verdict des urnes proclamé et la quasi égalité entre les impétrants révélée, l’heure est au regret. »*
Lors des élections tunisiennes du 23 octobre, certains électeurs ont fait la queue pendant cinq heures, tandis que d’autres se présentaient dans des bureaux quasi vides et ont pu voter sur-le-champ. A qui cela a-t-il profité ?

« [A propos de l’établissement des listes électorales, le président de la commission électorale décide] de “modifier la règle initiale concernant le vote des élus” 36 heures avant le vote ! [Ayant constaté] qu’“il n’était pas matériellement possible pour la Commission d’éditer des listes d’émargement qui permettent de mentionner de manière totalement fiable et équitable le statut des élus (à jour ou non de leur cotisation d’élu en 2011) dans l’ensemble des fédérations”, [il décide donc] “que la règle sur la cotisation d’élu ne s’appliquerait pas lors du Congrès du 18 novembre prochain” ! Autrement dit, on a fait voter des gens qui n’en avaient en réalité pas le droit.
« Les élus qui n’étaient pas à jour de cotisation ont pu voter comme les autres. »*
Lors de nos élections aussi, la règle a été changée au dernier moment : on a ouvert de nouveaux bureaux de vote dans les dernières semaines, en prévision d’un afflux de citoyens non inscrits et qui seraient finalement autorisés à voter. A l’époque, des associations d’observateurs du vote s’étaient plaintes de ne pas avoir le temps d’organiser le déploiement de leurs représentants dans ces bureaux.

« [Copé] propose que, le jour de l’élection pour la présidence de l’UMP, une charte des valeurs soit également soumise au vote des militants. Cela suppose un troisième bulletin qui s’ajoute à celui qui porte le nom des candidats à la présidence et à celui pour les différentes motions. (…) A chaud, personne ne comprend très bien l’intérêt de ce troisième vote qui complique tout et risque d’introduire la confusion chez les votants. C’était manifestement l’objectif recherché et finalement obtenu le jour de l’élection avec des militants, fatigués d’attendre, qui oublient de signer le troisième formulaire et à qui, dans certains bureaux de vote, on se garde bien de rappeler cette obligation… »*
Pour nos élections, ce sont les bulletins de vote qui ont troublé les électeurs : illisibles, sans les photos ni les noms des têtes de liste, avec des logos imprimés en noir et blanc et minuscules… Combien d’électeurs, épuisés d’avoir attendu, ont coché une case au hasard, accentuant la dispersion des voix vers les petites listes ?

« L’équipe Fillon pointe des bureaux où “les taux de procuration étaient anormalement élevés.” Parmi les cas suspects, La Ciotat, dans les Bouches-du-Rhône, département favorable à Copé : sur 645 votants, 152 procurations. “Devant le bureau de vote, il y avait une table pour distribuer des procurations à demi-remplies, raconte un témoin. Les électeurs qui n’en avaient pas s’en voyaient remettre une sur place, complétée au vu et au su de tous.»*
L’ISIE de 2011 avait très sagement écarté le vote par procuration. On a échappé au pire !

* Extraits d’articles parus dans le Nouvel Observateur.