Marché canadien : en attendant la relance

ENTRETIEN AVEC ISSAM KHEREDDINE ET FARIDA HENNI, O.N.T.T. MONTREAL. Avec 16900 entrées en 2010 et seulement 9700 en 2014, le marché canadien a beaucoup reculé en quatre ans. Un recul qui a profité essentiellement à la Grèce et la Turquie. Malgré un budget en baisse, l’Office du tourisme à Montréal tente d’inverser la tendance sur ce marché plus porteur qu’il n’y paraît, centré sur les longs séjours et la clientèle senior.

 

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Le marché canadien a baissé de 42% par rapport à 2010. Comment l’expliquez-vous ? Comment voyez-vous son évolution durant les années à venir ?

Issam Khereddine, Directeur de l’ONTT Montréal
Depuis un an, le marché est en augmentation [de +0,7%, voir le bilan de l’année 2014] : en 2014, il n’a pas baissé, malgré la conjoncture et le manque de financement. En effet, nous avons moins de budget qu’avant 2007, la publicité conjointe a été abolie. Tout se passe comme si l’administration considérait le marché canadien comme un petit marché. Quant à la baisse par rapport à 2010, elle s’explique par la situation surtout sécuritaire. Ici, les gens y sont très attentifs et le site gouvernemental était très sévère concernant la Tunisie.

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Farida Henni, chargée de Relations publiques
Récemment encore, des restrictions très sévères ont été émises après ce qui s’est passé dans le Sud. Mais en 2014, nous avons pu stabiliser le marché et arrêter le saignement en rassurant nos partenaires TO, réseau de ventes, compagnies aériennes ainsi que les médias. Concernant l’importance du marché canadien, qui faisait 17 000 entrées en 2010, il faut souligner qu’il représentait 170 000 nuitées car ces vacanciers partent en hiver pour au minimum deux semaines. Certains restent six mois : jusqu’en 2010, des gens achetaient des appartements en Tunisie pour y séjourner, et les mettaient en location l’été. Il s’agit essentiellement de baby-boomers, de retraités, une clientèle qui adore la culture et qui dépense. En 2010, les Canadiens ont apporté 21 millions de dinars de recettes. Leurs dépenses sur place représentent en moyenne 2000 dollars par séjour.

 I. Khereddine Même si tout est en stand-by tant que la situation politique n’est pas éclaircie, nous sommes très optimistes pour les années qui viennent. Nos partenaires le sont aussi. Mon expérience sur d’autres marchés m’a montré que l’important était la qualité des actions menées, même si nous sommes pénalisés par le budget. Depuis janvier 2014, nous avons mis en place un plan d’action très agressif. Ainsi, nous sommes à l’écoute du réseau de vente qui est le miroir de la destination et qui véhicule son image. Quand un client se rend dans une agence, c’est l’agent de voyage qui décide à 99% du choix de la destination.

F. Henni Nous avons aménagé dans nos locaux une salle pour donner une formation sur la destination Tunisie, et nous démarchons les écoles et universités pour qu’elles nous envoient leurs futurs diplômés en tourisme. Nous sommes le seul office de tourisme au Canada à le faire. Nous avons aussi instauré un programme pour recueillir par téléphone les appréciations des anciens clients de la Tunisie, grâce à des listes fournies par les TO. Ces derniers n’ont pas lâché la Tunisie, ils ont seulement gelé la destination et continué à participer avec nous à des opérations ; et cette année déjà, certains ont repris.

Quelles sont les destinations concurrentes qui ont profité de la baisse de la Tunisie ?

F. Henni J’avais pensé que ce serait le Maroc, mais à mon étonnement, notre flux touristique a été récupéré par la Turquie et surtout la Grèce. Nos clients habituels ont retrouvé en Grèce l’ambiance et le climat qu’ils aimaient en Tunisie. Et l’ouverture par Turkish Airlines de vols directs sur la Turquie a créé un intérêt chez les Canadiens pour cette nouvelle destination.

Quel a été l’impact de l’ouverture, puis de la suppression du vol direct de Syphax Airlines ? Qu’en est-il du vol direct de Tunisair annoncé, semble-t-il, pour l’automne 2015 ? [voir aerotunisie.com]

I. Khereddine Le vol de Syphax a fait beaucoup plus de tort que de bien, et c’est la destination qui a perdu. Nous avions soutenu cette compagnie, nous l’avons fait participer à toutes nos actions promotionnelles. Mais les choses ne se sont pas passées selon nos espérances. En ce qui concerne Tunisair, nous attendons encore les clarifications. Dernièrement, leur représentant était présent sur notre stand à Toronto, ce qui est un bon signe.

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Montréal en hiver. Les Canadiens voyagent de septembre à mai et privilégient les longs séjours, la culture et les circuits vers le Sud.

Quelles sont les caractéristiques du marché canadien et plus particulièrement québécois ?

I. Khereddine En été, les Canadiens restent chez eux car le climat est très agréable et Montréal offre de nombreuses animations. La période de voyage s’étend de septembre à mai. Les Canadiens ne voyagent pas idiot. En Tunisie, ils apprécient l’usage de la langue française, la culture, l’histoire. Ils font surtout des circuits, notamment au Sud, et pour les périodes de repos privilégient les régions de Hammamet et Sousse-Port El Kantaoui. Ils séjournent essentiellement dans des hôtels de 3 à 5 étoiles, mais certaines catégories se tournent vers les hôtels de charme, le tourisme responsable, les circuits en voiture de location.

Le tourisme médical est très développé, essentiellement vers Cuba, la République Dominicaine et le Costa Rica. Nous avons organisé en janvier 2014 un voyage de presse sur le tourisme médical et la thalassothérapie en Tunisie, et participé à trois salons spécialisés. Nous organisons un autre voyage fin mars sur ce thème, avec la participation d’équipes de télévision. Les gens sont très intéressés de savoir qu’on pratique en Tunisie toutes sortes d’interventions, comme l’implantation d’iris. Et les interventions peuvent coûter quatre à cinq fois moins cher qu’au Canada.

F. Henni En 2010, beaucoup de TO disaient que la Tunisie allait remplacer la Floride auprès des baby-boomers car elle offre plus de diversité et de dépaysement. Et pour le tourisme médical, le système de santé tunisien a ici très bonne réputation et les Canadiens lui font confiance.

I. Khereddine Nous sommes en train d’organiser une grande opération promotionnelle pour début septembre. Il s’agit d’un voyage VIP sur le thème “mode et tourisme” autour d’un défilé du célèbre styliste canadien Yves-Jean Lacasse et d’un spectacle avec une soprano canadienne. Il pourrait se dérouler au musée du Bardo. Nous comptons aussi impliquer les stylistes tunisiens et les écoles de mode, assurer une large couverture médiatique à cet événement. Il y aura au minimum une vingtaine d’artistes invités et nous comptons sur l’effet des réseaux sociaux pour intéresser leurs fans à la destination.

F. Henni Qui dit mode dit artistes, création, innovation, et il n’y a pas mieux qu’un artiste pour parler d’une destination. Nous aurons un magicien et différents artistes qui parlent à des millions de personnes dans leurs shows.

I. Khereddine Nous programmons aussi un voyage pour une cinquantaine d’agents de voyages de l’ACTA, probablement en novembre. Cette opération aurait dû avoir lieu en 2014, sur le vol direct de Syphax Airlines – nous avions déjà effectué un voyage de prospection – mais la compagnie nous a laissés de février à juin sans nous donner de réponse officielle, et elle n’a pas pu être réalisée.

GM




Bilan 2014 : la Tunisie à la traîne

Tandis que le Maroc table sur 11 millions de touristes pour l’année 2014, la destination Tunisie stagne, voire régresse. Même la légère hausse des recettes la laisse loin derrière les performances de son principal concurrent. Et la diversification est en berne.

 

Le bilan de l’année 2014 se solde par un recul des entrées (-3,2% à 6,08 millions d’entrées) et des nuitées (-3%, à 29,1 millions de nuitées). Cependant les recettes globales en euros augmentent de 6,2% à 1,587 milliards d’euros, une hausse due notamment à une amélioration des recettes à la nuitée de 6,9% par rapport à l’année 2013.

Ce bilan peut satisfaire certains. Mais à y regarder de plus près, la destination tunisienne est en perdition, notamment par rapport aux progrès que réalise son principal concurrent, le Maroc : celui-ci table sur 11 millions de touristes pour l’année 2014, et une recette de 5,5 milliards d’euros.

La Tunisie, jadis première destination africaine après l’Afrique du Sud, est reléguée loin derrière le Maroc. L’année 2014 et les quatre années de la Troïka se soldent surtout par une dégradation de la position concurrentielle de la destination sur les marchés européens, qui accusent un recul de 3% par rapport à 2013 et de 26% par rapport à 2010. Une aggravation due notamment à la dégringolade du marché français qui a encore reculé de 6% en 2014 et afficher une baisse de 48% par rapport à 2010. Au Maroc, au contraire, le marché français est en constante croissance depuis 2010, et même en 2014 (2 à 4% de croissance attendue) en dépit de son inscription par les autorités françaises sur la liste des pays à risque.

 

Entrées des non-résidents par nationalité (cumul janvier à décembre)

ENTREES NON-RESIDENTS 2014

Nuitées par région (cumul janvier à décembre)

NUITEES 2014

 

Mort de la diversification

Quatre ans après la révolution, le tourisme tunisien se retrouve privé de ce qui était considéré comme “un avantage concurrentiel” de la destination : sa diversification dont la thalassothérapie était le fer de lance. Le recul des marchés français, suisse (-48% en 4 ans) et scandinaves (-65% depuis 2010) ont surtout privé la Tunisie d’une bonne part de sa clientèle en thalassothérapie (en chute d’au moins 50%) et de celle des golfeurs. La situation politique du pays ne suffit pas à l’expliquer. Le déficit de promotion pour la thalasso, confiée, comme le segment des seniors, à l’Office du Thermalisme, ou le manque de liaisons aériennes sur les pays scandinaves ont largement contribué à cette chute.

Le retard de l’accord sur l’Open Sky se solde, lui, par le recul du tourisme individuel : les quatre années écoulées ont été un véritable enfer pour les hôtels haut de gamme. Pour eux, la seule issue semble une conversion au all inclusive, sonnant ainsi le glas d’une autre “stratégie de diversification”, celle de l’hébergement vers le haut de gamme.

Les réformes, il ne suffit pas d’en parler

Ajoutons à cela l’absence de réformes, sans cesse reportées depuis 2011. Il en est ainsi de l’Open Sky et du désenclavement des régions du Sud, Djerba ou Tabarka, de l’endettement hôtelier et surtout de la restructuration de l’ONTT (que notre ministre nous disait imminente il y a quelque mois). La seule mesure tangible à retenir de l’année écoulée est celle de la taxe de 30 dinars pour les non résidents ; une taxe qu’il faut bien mettre à l’actif du ministère des Finances puisqu’aucun millime des sommes récoltées ne profitera au tourisme.

Leçon marocaine

A quelques jours de l’arrivée d’un nouveau ministre du Tourisme, nous lui offrons ce passage d’un rapport du ministère marocain du Tourisme pour l’année 2015. Il explicite en quelques lignes les raisons du succès prévisible de cette destination pour les années à venir :

« Pour 2015 et afin d’assurer la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de sa stratégie marketing, l’ONMT a prévu une réorganisation de ses structures, la modernisation de la gestion de ses ressources humaines ainsi que la révision de son périmètre d’intervention et de sa dénomination. Cette réorganisation vise d’abord à améliorer l’accessibilité de la destination Maroc en poursuivant une approche agressive en matière de desserte aérienne, particulièrement sur les marchés prioritaires comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou encore les Etats-Unis. Elle vise ensuite à diversifier les segments de clientèle et les bassins émetteurs tels que le Brésil, les pays du CCG, la Chine, l’Afrique et l’Europe de l’Est (…) de nombreuses actions sont programmées afin de désenclaver et de renforcer le positionnement de certaines régions, notamment le sud du Maroc. »

Ainsi la priorité du Maroc est bien la réforme de son office du tourisme dont le but (malgré l’ouverture du ciel marocain depuis dix ans) est de poursuivre « une approche agressive en matière de desserte aérienne ». Tout est dit.

LM

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Tourisme : le ministère des copains et des coquins

Les hôtels endettés sont un festin pour lequel de nombreuses personnes et institutions s’aiguisent les dents depuis un moment. Un dossier dans lequel le ministère du Tourisme et le gouvernement semblent avoir manqué de vigilance.

« Je ne suis pas la ministre des hôteliers et des agents de voyages », déclarait récemment Amel Karboul, ministre du Tourisme. Elle vient de joindre l’acte à la parole en mettant son administration au service du fonds d’investissement Siyaha Capital, créé par son ami Kamel Lazaar, patron de Swicorp (lire notre article).
En effet, le ministère du Tourisme se prépare à organiser le 14 de ce mois une « table ronde Workshop projets touristiques » dont les « principaux acteurs », selon un PV de réunion interne que nous avons pu consulter (voir document 1), seront « la Caisse des Dépôts et Consignations/ Swicorp/ Action Stream » à côté de (ou, devrait-on dire, avant) les investisseurs du secteur et les fédérations professionnelles.
Le même document précise que la liste des bailleurs de fonds à inviter est « à préparer par Mme Safia Hachicha » qui n’est autre que la DG de Siyaha Capital. De surcroît, le premier projet qui sera présenté à ces bailleurs de fonds est bien entendu celui de Siyaha Capital que dirige cette même S. Hachicha.
Last but not least, les conclusions de cette table ronde doivent préparer un voyage dans les pays du Golfe pour rencontrer des investisseurs durant « la dernière semaine de novembre ou la première semaine de décembre », précise le document. Pour ce voyage, c’est encore Swicorp qui « identifiera les investisseurs » à inviter lors du workshop et à visiter lors du déplacement dans les pays du Golfe. Le ministère se contentera pour sa part des tâches de secrétariat au profit de Swicorp puisqu’il est précisé que « le ministère se charge de contacter les ambassades tunisiennes (…) et lancera les invitations ».

Document 1 Document 1 : extrait du procès verbal du Workshop Investissement.

Gestion privée d’argent public

Ce document éclaire d’un jour nouveau les inquiétudes à l’encontre de Mme Karboul quant à un conflit d’intérêts entre ses fonctions de Ministre et sa proximité avec le patron de Swicorp. En effet, comment Mme Karboul peut-elle prétendre à la promotion de l’investissement direct dans des projets comme celui de Kerkennah Founkhal, par exemple, en confiant cette promotion à un fonds spéculatif qui peine à recruter des bailleurs de fonds pour son seul et unique projet déclaré, qui est de reprendre une douzaine d’hôtels endettés ?
Ce document nous interpelle aussi quant à la déviation de la Caisse des Dépôts et Consignations de son rôle d’investisseur public. La création de CDC Gestion en est peut-être une illustration.
La CDC est un organisme public, que son DG Jamel Bel Hadj Abdallah définit sur son site internet comme « un investisseur avisé de long terme ayant pour objectif le financement durable au service de l’intérêt général ». Comment un tel organisme peut-il investir dans la dette des hôtels et, qui plus est, en cédant la majorité de sa société de gestion (CDC Gestion) à des privés, à savoir IMBank et le cabinet Action Stream ? (voir document 2)

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Document 2 : liste des souscripteurs CDC Gestion.

Quel hasard a fait que ce “bras financier de l’Etat”, censé investir dans des secteurs stratégiques et dans les régions défavorisées de l’intérieur, cède la majorité de sa société de gestion à une banque privée à capitaux étrangers et à un cabinet dont le patron est un expert italien transfuge de la Banque Mondiale, tous deux propulsés par Amel Karboul comme « acteurs » de sa table ronde sur l’investissement ?
La CDC aurait-elle pu agir ainsi si son “fondateur”, l’ex-ministre des Finances Jalloul Ayed, l’avait soumise au contrôle parlementaire, comme c’est le cas de son homologue en France par exemple ? Est-ce un hasard si les actuels dirigeants du CDC et de Siyaha Capital sont tous les deux issus du cabinet de Jalloul Ayed ? Est-ce aussi un hasard si, parmi tout ce beau monde se penchant sur la carcasse des hôtels endettés, on retrouve d’ex ou actuels dirigeants d’un parti politique libéral qu’on dit proche de Kamel Lazaar ? En prônant le principe cher à ces ultra-libéraux de “partenariats entre le secteur public et le secteur privé”, le ministère du Tourisme signifierait-il son engagement au service des fonds spéculatifs et banques d’affaires privées ?
Enfin, par quelle logique Amel Karboul tente-elle aujourd’hui, à quelques semaines de son départ du ministère du Tourisme, de s’occuper de mener une action qu’elle sait pertinemment inefficiente, ne serait-ce que par l’échec du gouvernement à faire voter la loi controversée sur l’AMC ? Une loi qui ne verra certainement pas le jour, du moins sous sa forme actuelle.
Autant de questions qu’il ne serait pas vain d’élucider dès l’installation du futur ministre du Tourisme.

LM

Lire aussi “CDC, Siyaha Capital etc. : le ministère nous répond”




Entretien avec Wahida Djaït : retour au pragmatisme

Entretien avec Wahida Djaït, Directrice Générale de l’ONTT. Après des mois de tâtonnement, l’administration du Tourisme semble renouer avec le réalisme. Un retour au pragmatisme d’antan qui se traduira par une concentration des moyens sur les réseaux de vente, le soutien à l’aérien et les relations publiques.

 

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Cela fait six mois que vous êtes à la tête de l’ONTT. A quoi les avez-vous passés, et pour quel résultat ?

Wahida Djaït
Il faut commencer par rappeler qu’à mon arrivée, l’ONTT vivait dans un climat social particulièrement tendu ; j’ai dû très vite rencontrer les syndicats et notamment le plus représentatif parmi eux, à savoir l’UGTT. Il a fallu d’abord se faire accepter par le syndicat pour lever les appréhensions qu’il avait à l’égard de ma nomination, et entamer le dialogue ensuite. Ainsi, on a pu calmer les esprits et éviter les dérapages ou les grèves en plein été. Cela n’a pas été facile, mais j’estime qu’on a réussi à établir des relations correctes et je dirais même cordiales.

Pour ce qui est de la promotion du tourisme, j’ai dû en quelque sorte prendre le train en marche… Il me restait une certaine latitude pour influer sur le cours des choses, notamment pour le last minute, et essayer de sauver ce qui pouvait l’être.

Vos propos laissent supposer que la situation au mois d’avril était des plus catastrophique, alors que le climat politique et social était de loin meilleur que celui qui a prévalu en 2013…

La situation était fragile et on était sous la menace d’un retournement de situation à n’importe quel moment. Ce qui n’a pas manqué de se réaliser avec l’affaire des croisières ou le problème des ordures, notamment à Djerba, dont nous n’étions pas directement responsables. Ces affaires ont non seulement causé du tort à la destination mais nous ont obligés, pour atténuer leur effets, à gaspiller une énergie qu’on aurait pu mieux utiliser pour préparer la saison.

Sans remettre en question vos efforts, nous observons un grand décalage entre les déclarations et les réalisations sur le terrain. Nous observons que l’ONTT ne sait plus assurer ne serait-ce qu’un accueil à l’aéroport, comme cela a été le cas pour les invités des Tunisia Awards…

Vous ramenez cette défaillance à l’ONTT, alors qu’elle est due au comité d’organisation dont un seul des membres appartenait à l’ONTT ; de plus, à la direction du Produit et non pas à la direction des Relations publiques dont c’est le travail. Cette décision a été prise par Mme la Ministre dans l’intention, louable, de motiver les jeunes, mais il leur a manqué l’expérience de ce type d’événements. Personnellement, j’avais proposé une autre composition du comité d’organisation, mais la décision finale ne me revenait pas à moi.

Revenons au bilan. Qu’est-ce que l’administration a fait concrètement pour limiter les dégâts sur le marché français ?

Si vous voulez parler d’un soutien concret aux opérateurs pour les inciter à prendre le risque sur la destination, il est vrai que nous ne l’avons pas fait pour la simple raison que notre représentation en France n’avait pas de budget pour ça. Il est vrai aussi que les difficultés de Tunisair l’empêchaient de prendre plus de risques sur la France. Cependant, il est plus opportun de parler de ce que nous avons décidé de faire aujourd’hui, notamment après la réunion des représentants tenue récemment à Tunis. Pour tous les marchés et plus particulièrement sur le marché français, nous avons décidé de concentrer nos efforts sur les relations publiques et les réseaux de vente. Pour ces derniers, nous ciblons cinq régions de France avec 1300 points de vente des principaux réseaux, à savoir Sélectour/Afat, Havas et Thomas Cook.

Il a donc fallu tâtonner pendant tout ce temps pour revenir aux bonnes vieilles méthodes…

Il s’agit pour nous de réoccuper le terrain après l’avoir négligé, et de le faire avec plus de professionnalisme et de synergies entre le PR et les actions envers le réseau de vente et le soutien à l’aérien. Ce dernier est inscrit dans nos actions des deux années à venir. Nous le ferons selon nos moyens et l’importance que revêt pour nous chaque ligne à soutenir. Mais nous ouvrons la négociation avec nos compagnies aériennes et d’autres pour décider le degré de notre soutien et la forme qu’il pourrait prendre. Personnellement, je ne conçois pas le soutien à une ligne sur un mois ou deux mais plutôt sur trois ans. Soutenir une ligne aérienne signifie pour nous un plan triennal comprenant aussi le lancement d’actions en PR et auprès des réseaux de vente pour remplir les vols.

Dans ce cadre, nous étudierons avec les fédérations professionnelles les marchés prioritaires auxquels nous devons apporter notre soutien. Il est d’ores et déjà question de l’Italie avec la mise en place d’un Milan-Djerba, de la France notamment pour Tozeur, et des pays scandinaves avec notamment une ligne sur Copenhague pour l’hiver 2015.

Pour résumer, notre nouvelle approche consiste à réajuster nos budgets entre la publicité institutionnelle et le reste des actions pour nous laisser une marge de réaction selon l’évolution des marchés. Cette approche, nous l’appliquons déjà pour la fin de cette saison avec le lancement en France d’une campagne de relations publiques. Son thème est l’énergie des Tunisiens, à travers les portraits de Tunisiens qui agissent et bougent dans divers secteurs. Je me déplace cette semaine [interview réalisée le 13 octobre] en France pour y apporter les dernières retouches. Nos actions commenceront donc avant les élections et continueront après pour dire que la Tunisie avance et continuera à avancer.

 




Entretien avec Khaled Chelly : «Tunisair Express doit changer de modèle»

Mauvaise conjoncture oblige, Khaled Chelly, DG de Tunisair Express depuis trois mois, doit revoir la stratégie de la compagnie récemment mise en place. Il est question d’un redéploiement à l’international mais aussi d’un soutien au tourisme local, notamment vers Tozeur qui verrait la mise en place d’un vol spécial pour les mois d’octobre et novembre.

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Où en êtes-vous de votre plan de redressement ? Maintenez-vous l’objectif de réduire les pertes de 35% cette année ?

Khaled Chelly
Non, nous n’atteindrons pas cet objectif. Le plan de redressement était basé sur l’abandon du trafic charter dans son volet non rentable et le redéploiement de l’activité sur le charter générant des bénéfices et sur le régulier à l’international, notamment sur la Libye. Malheureusement, la Libye a fait défaut et la reprise escomptée du tourisme n’a pas eu lieu. Globalement, le trafic a reculé à la fin du mois d’août de 16% (6% de baisse pour le régulier et 53% pour le charter).

Au mois de septembre, le trafic domestique a augmenté de 28% par rapport à septembre 2013. Malgré ce regain d’activité, nous prévoyons un recul du chiffre d’affaires de l’ordre de 16% à la fin de cette année avec un résultat négatif de l’ordre de 8 millions de dinars hors subventions de l’Etat. A l’heure actuelle, nous ne pouvons comparer ce résultat avec celui de 2013 tant que le ministère des Finances n’a pas spécifié la forme que prendra l’abandon de la créance de l’OACA, évaluée à quelque 13 millions de dinars. Un abandon pur et simple de la créance OACA générerait un exercice 2013 bénéficiaire, sachant que la perte comptable pour 2013 est de l’ordre de 11 millions de dinars (dont 4 pour les affrètements consécutifs à l’immobilisation de deux appareils).

Qu’en est-il du soutien financier aux lignes intérieures décidé par le ministère du Transport ?

Cela fonctionne comme prévu. Cette subvention nous est octroyée chaque trimestre sur la base de nos résultats sur nos lignes intérieures et nous venons de recevoir 1,2 million au titre du premier trimestre. C’est grâce à cette subvention que nous afficherons cette année un déficit de l’ordre de 3 millions de dinars, et non pas les 8 millions prévus.

A vous écouter, votre compagnie s’achemine vers un réajustement de la stratégie décidée il y a un an… Quelle marge de manœuvre resterait-il pour Tunisair Express sachant que ne pouvez plus augmenter vos tarifs domestiques généralement perçus comme élevés ?

Effectivement, la question de la stratégie se pose de nouveau avec acuité. Notre compagnie a été déficitaire depuis sa création, un déficit qui a pris de nouvelles proportions depuis la révolution. Mais avant de parler des options qui se présentent à nous, j’aimerais décrire la situation dans laquelle nous nous trouvons. Si nous prenons à titre d’exemple l’année 2013, on trouve 4, 2 millions de dinars de charges financières dont 3,2 millions pour différence de change à cause de nos engagements en dollars, notamment pour l’achat des avions. On trouve aussi 12,5 millions de dinars de charges de personnel malgré l’externalisation de certains services opérée fin 2012/2013. Si on ajoute à ces frais 9 millions d’amortissements, on aboutit à un total de charges de 25 millions pour un chiffre d’affaires de 44 millions de dinars. On est donc dans une situation où 60% des revenus servent à couvrir les charges fixes, un chiffre qui montre le degré de fragilité de la compagnie. De plus, celle-ci souffre de problèmes de trésorerie aigus nous obligeant à négocier le rééchelonnement de nos dettes envers des partenaires stratégiques comme les fournisseurs de fuel.

Vous avez évoqué la question des prix pour les vols domestiques. Sachez qu’avec un remplissage à 90% d’un ATR sur Djerba, on ne couvre pas ses coûts complets. Il est un fait que nous n’encaissons pas les 214 dinars payés par le passager pour un aller-retour Tunis-Djerba. Pour chaque tronçon, nous encaissons 85 dinars pour une distance de 500 km, ce qui nous place parmi les compagnies les moins chères en vols domestiques au 100 km. La première conclusion est de dire que les vols domestiques ne sont pas rentables en ATR.

Ces vols le seront-ils avec des avions plus grands ?

On a fait une simulation avec des 747 de 125 places et il s’avère que la rentabilité n’est atteinte que durant les 4 ou 5 mois de pointe. De surcroît, en optant pour de plus grands avions, nous ne pourrons plus mettre autant de fréquences qu’avec un ATR. La question est de concilier les impératifs de rentabilité et de fréquence.

Pour revenir à votre question première sur le réajustement de la stratégie de la compagnie, on doit dire que les différentes stratégies expérimentées ces dernières années nous ont convaincus de la nécessité d’un changement de modèle. Le domestique ne devrait plus être aussi prépondérant et le trafic international devrait être renforcé. S’il est question de développer l’international dans ses deux volets régulier et charter, nous privilégierons le charter rentable avec une politique tarifaire adéquate selon la saison. Il aussi question pour nous d’améliorer l’utilisation des avions pendant la période creuse. Parmi les niches de développement à l’international, nous pensons à Catane (Sicile) dont la liaison sera lancée prochainement. Autre piste, le transfert par Tunisair de quelques liaisons dont l’exploitation s’adapte mieux à une compagnie comme la nôtre. Enfin, nous pensons à l’Algérie, notamment l’Est algérien dont l’ouverture est encore suspendue à une mise à jour de l’accord aérien avec l’Algérie.

Parallèlement à ces axes, nous réfléchissons à une recomposition de notre flotte pour mieux répondre à notre déploiement à l’international. Des pistes sérieuses sont à l’étude et nous espérons les faire aboutir bientôt.

En somme, si la situation est difficile, elle n’est pas désespérée puisque les solutions existent et que le personnel de la compagnie est impliqué dans la réflexion stratégique.

Revenons au domestique, et plus spécialement à Tozeur où l’on parle d’un nouveau programme de soutien de la part du ministère du Tourisme. La ligne Tunis-Tozeur n’est-elle pas l’exemple des efforts qui vous restent à fournir en termes de nombre de vols et d’horaires ?

Nous venons d’avoir hier [le 1er octobre] une réunion avec le ministère du Tourisme et la FTAV au sujet du développement du tourisme intérieur. Un budget de 1 million de dinars disponible au sein du FODEC y sera consacré. Il est question de reconduire l’opération de l’année dernière avec des vols supplémentaires d’octobre à décembre ; il est également projeté par les agences le lancement de packages weed-end sur Tozeur avec un départ le vendredi après-midi et un retour le dimanche après-midi. Aujourd’hui, nous n’avons pas de vol l’après-midi, nos vols sont conçus pour permettre à des touristes de rejoindre leurs vols internationaux ; mais nous sommes prêts à mettre un vol spécial adapté au tourisme.

Qui, de vous ou des agences de voyages, le FODEC va-t-il subventionner ?

C’est l’un ou l’autre, la question est à l’étude pour déterminer la formule la plus incitative pour le touriste potentiel. Pour nous, soit nous mettrons à la disposition des agences un vol qu’ils nous paieront au prix charter, soit nous mettrons nous-mêmes en place un vol avec le soutien du FODEC. En tout état de cause, nous ne pouvons nous permettre de programmer ce vol par nous-mêmes sur une ligne qui est déjà déficitaire.

Il est question pour certaines agences de voyages de négocier avec vous des blocs sièges à l’année sur le vol de Tozeur. Comment jugez-vous cette initiative ?

Pour nous, c’est une idée très intéressante. Nous avons confirmé aux agences de voyages qu’elles peuvent soit mettre en place des packages pour octobre-novembre avec le soutien du FODEC, soit opter pour des blocs sièges à l’année que nous leur céderons à des prix préférentiels. Notre flexibilité tarifaire est justifiée par la clientèle additionnelle qu’apporteront ces agences.

A-t-il été aussi question de Tabarka ?

Non, Tabarka n’a pas été évoquée lors de cette réunion.




L’AMC expliquée par Slim Tlatli

Slim Tlatli, parrain de la Stratégie 2020 du Tourisme, réagit au projet de loi créant l’AMC. Tout en reconnaissant les faiblesses du projet, il souligne la justesse de la mission future de l’AMC.

Rares ont été les réactions au projet de loi sur l’AMC (Assets Management Company), contenu dans le projet de Loi de Finances complémentaire. En effet, on note l’absence de réaction de la FTH ainsi que de l’UTICA sur un sujet déterminant pour l’avenir de nombreuses entreprises et hôtels.

Pour l’instant, seul le syndicat patronal CONECT a dénoncé ce projet de loi comme n’ayant « aucun rapport avec la Loi des Finances ». Toutefois, il semblerait que la FTH se prépare aussi à mettre en cause la constitutionnalité de ce projet loi car il ne prévoit pas de recours pour les hôtels concernés.

« Une reprise des dettes à 50% de leur valeur en moyenne »

Contacté par nos soins suite à notre article sur le projet de loi créant l’AMC, Slim Tlatli, actuel parrain de la Stratégie 2020 du Tourisme, se déclare favorable à l’instauration d’une AMC, « seule capable d’une résolution rapide du problème de l’endettement ». Même s’il concède que « l’exigence de la rapidité ne doit pas exclure une possibilité d’appel aux décisions de l’AMC » ; une faille qu’il souhaite voir corriger par l’ANC.

L’ancien ministre du Tourisme défend la solution de création de l’AMC, d’autant plus qu’elle est, telle que discutée actuellement au niveau du ministère du Tourisme et de la BCT, la plus équitable possible pour les trois parties prenantes du problème de l’endettement, à savoir l’Etat, les banques et les entreprises. En effet, la solution préconisée prévoit, toujours selon M. Tlatli, « une reprise des dettes à 50% de leur valeur en moyenne », et non pas à 25% comme il a été dit auparavant.

Des managers comme nouveaux investisseurs ?

Autre affirmation de Slim Tlatli : bien que le projet de loi actuel ne le précise pas, l’AMC ne sera pas concernée par ceux qui ont des retards de règlement dus à la conjoncture actuelle du tourisme. Elle ne vise que les endettés chroniques qu’il scinde en deux catégories :

–            Les hôtels endettés et encore viables se verront proposer un nouveau Business plan et, selon qu’ils peuvent ou non injecter de l’argent frais pour se relancer, se verront ou non affecter un investisseur. L’idée que propose M. Tlatli à ce propos est de faire appel à des managers expérimentés de l’hôtellerie, qui deviendront investisseurs grâce à une garantie de l’Etat leur permettant d’accéder à des prêts bancaires. En tout état de cause, l’AMC encouragera les nouveaux investisseurs à gérer eux-mêmes les unités reprises.
–            Reste la catégorie des hôtels “non viables”, auxquels il est préconisé un changement de vocation en clinique, maison de retraite ou foyer universitaire.

En conclusion, Slim Tlatli voit dans l’AMC un « outil qui permet une rapidité que la loi tunisienne existante ne permet pas ». Il estime que le texte de loi actuel « peut être revu » mais ne peut servir d’alibi pour rejeter tout le projet de création de l’AMC.




Mark Watkins (Coach Omnium) : les OTA sont nécessaires, mais pas suffisants

Les OTA sont une chance pour les hôtels indépendants, estime le consultant français Mark Watkins, président de Coach Omnium. – Entretien.

 

Il y a quelques mois, Mark Watkins, président de Coach Omnium*, surprenait les professionnels français en soutenant tout l’intérêt d’une collaboration des hôtels indépendants avec les OTA (Online Travel Agencies). Il nous explique ici pourquoi. Par ailleurs président du Comité pour la modernisation de l’hôtellerie et du tourisme français, il évoque aussi les fédérations professionnelles qui, « par leur incompétence et leur inefficacité, donnent une mauvaise image de la profession au public, aux journalistes et aux politiques ». Un discours qui ne manque pas de pertinence pour le contexte tunisien.

* Coach Omnium : Société de conseil & d’études marketing et économiques pour le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, les spas et les casinos.


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Vous soutenez que les OTA sont « une chance » pour les hôtels indépendants dans leur effort d’exister à côté des chaînes intégrées. Cette « chance » ne perd-elle pas de son intérêt au vu du coût qu’elle engendre pour ces hôtels ?

Mark Watkins
Oui, cette analyse a beaucoup surpris les professionnels et certains ont eu un coup de chaud en l’entendant ou la lisant. Le constat pour arriver à cette conclusion est le suivant : un hôtelier indépendant français sur cinq – seulement – développe une commercialisation active pour son hôtel. Les quatre autres n’en fournissent aucune, ou encore ont ce que nous appelons une commercialisation passive. Ils attendent le client comme s’ils étaient assis sur un tabouret devant leur porte, avec un vague site Internet sans possibilité de réserver en ligne, sans visibilité, sans attractivité. Ils font encore moins d’efforts quand il s’agit de prospecter vers les agences, entreprises et autres cibles de clientèle dont ils ont pourtant besoin.

Il y a globalement trois raisons pour lesquelles les hôteliers ne commercialisent pas ou peu leur établissement : manque de temps, manque de savoir-faire et manque de moyens. Les OTA peuvent, dans ce cas, être pour eux d’une grande aide en prenant en compte le fait que 93 % des clients d’hôtels européens et nord-américains recherchent les hôtels où séjourner via le Net.
Certes, il y a une commission à payer. Mais toute commercialisation, promotion ou communication coûte fatalement de l’argent. Ces hôteliers n’en dépensent pratiquement pas ailleurs. De plus, on ne paie les OTA que lorsqu’un client est là. On n’avance pas les fonds, ce qui serait le cas en employant, par exemple, un commercial ou en faisant de la publicité.

Pour autant, quand certains hôtels ont de 40 % et jusqu’à 60 % de leurs chambres vendues par les OTA, c’est trop. Il leur faudrait idéalement parvenir à limiter ce volume à 20-25 %. Ce qui signifie qu’il faut quand même passer par la case commercialisation à travers d’autres canaux. Déjà, mettre en place un site performant serait faire un grand pas en avant pour capter des clients, par ailleurs très informés.

Pensez-vous que vos conclusions restent valables dans le cas des destinations où l’hôtellerie est fortement dépendante des tour-operators, comme c’est le cas en Tunisie ou en Espagne ?

Pour les destinations “loisirs” et vacances, travailler avec les tour-opérateurs “classiques” est évidemment une nécessité. D’autant plus quand les touristes doivent s’y rendre majoritairement en avion. Mais nous avons trouvé également des vertus aux OTA comparés aux tour-opérateurs. Les OTA ne sont pas nécessairement plus chers (cela dépend bien entendu du type de contrat que l’on signe avec elles, mais plus c’est cher et plus on est valorisé par elles sur le Web). Mais surtout, cela améliore la trésorerie par une baisse des délais de paiement puisqu’on est crédité quand le client vient, tandis que les tour-opérateurs règlent généralement à 45 ou 60 jours.

N’en déduisez pas que je soutiens les OTA. Je les regarde froidement et simplement comme un outil de vente, avec ses avantages (nombreux car ils sont extrêmement performants commercialement) et ses inconvénients (contrats léonins, coûts, hégémonie…).

En tant que président du Comité pour la modernisation de l’hôtellerie et du Tourisme français, vous êtes très critique vis-à-vis des syndicats professionnels qui manqueraient de compétence et de légitimité, ainsi que vis-à-vis d’Atout France qui manquerait de neutralité. Y a-t-il un réel problème de gouvernance du tourisme en France, ou faut-il y voir seulement une expression du fameux « caractère râleur » des Français ?

Evidemment, comparée à la situation actuelle du tourisme en Tunisie, la France est gâtée sur ce point. Nous avons donc des problèmes de “riches” à régler ! (sourire). Je ne peux pas ici, par manque de place, vous expliquer toute la problématique du tourisme réceptif français.

Du côté des syndicats hôteliers, nous en avons cinq en France qui ne s’entendent pas, qui sont en rivalité, qui ne sont pas d’accord entre eux (ou si peu), qui négocient avec les pouvoirs publics en ordre dispersé et qui ne travaillent pas leurs dossiers avec professionnalisme. De plus, ils s’entourent mal quand il s’agit de traiter avec les ministères, n’ayant pas à leurs côtés des énarques capables de discuter avec d’autres énarques. Enfin, ils traitent de sujets d’arrière-garde, sont corporatistes et ont du mal à penser aux consommateurs. Par leur incompétence hélas avérée et leur inefficacité, ils donnent une mauvaise image de la profession au public, aux journalistes et aux politiques.
Rien qu’en hôtellerie, les 17 000 hôtels français reçoivent annuellement près de 27 millions de clients, dont un tiers d’étrangers. Nos syndicats ne pensent pas à eux, mais seulement à leur propre intérêt, au détriment aussi de celui de la profession qu’ils sont censés représenter.

Je suis conscient d’être sévère (mais pas gratuitement râleur). Je tiens compte, dans mes reproches, de ce que ce laxisme dure depuis trop longtemps tandis que le monde auquel il faut s’adapter bouge très vite. Je tiens compte surtout du fait que près de vingt hôtels et restaurants indépendants ferment chaque jour en France…
L’exemple que j’aime citer est celui du syndicat de l’hôtellerie de plein air (campings), qui a tout compris depuis près de quinze ans. Il soutient intelligemment ses professionnels mais agit aussi pour développer la qualité fournie à la clientèle ; cette organisation professionnelle a une préoccupation consumériste. Le résultat se voit : les campings ont gagné fortement en nuitées et en satisfaction de leurs clients. Et cela permet à de nombreux entrepreneurs de ce secteur de bien gagner leur vie et de réinvestir constamment.

Pour ce qui concerne Atout France, la grosse partie de son budget part en frais de fonctionnement. Son travail de représentation touristique et de promotion est négligeable et négligé. Il demande toujours davantage de moyens financiers, mais nous aimerions plutôt que soit mesurée la qualité de ses interventions avec son budget actuel, avant d’estimer s’il a besoin ou pas d’une rallonge budgétaire. Disposer de plus d’argent ne signifie pas nécessairement être plus agissant.
Nous reprochons à Atout France d’être surtout au service des pouvoirs politiques en place et des grandes entreprises de tourisme, tandis que près de 95 % du secteur se compose de petites et de micro entreprises. Personne ne les aide, personne de pense à elles. Atout France encore moins que d’autres.

Plus largement, la France n’a pas de stratégie pour son tourisme, sinon simulée dans les discours. Ailleurs, je ne sais pas, mais dans notre pays, tout le monde croit, quand un discours est prononcé, que tout a été fait. Ce qui n’est bien sûr pas le cas. Tout reste à faire et souvent ne l’est pas.
Enfin, nous ne voulons plus que l’on se gargarise avec « La France, première destination mondiale de tourisme », quand on sait – sans que cela soit dit, évidemment – qu’elle n’est qu’au 83e rang mondial des dépenses moyennes par touriste international !
Cette affirmation, que nos ministres du tourisme se passent de main en main et communiquent avec mauvaise fierté, pose le problème des lauriers sur lesquels on s’endort. On n’investit pas assez, on ne forme pas correctement, on ne valorise pas les métiers, on ne fait pas suffisamment de promotion, etc. Pourquoi le ferait-on puisque, de toute façon, le tourisme français ne serait pas affecté par la crise économique – puisqu’on dit que les chiffres sont bons, n’est-ce pas ?

Il est préoccupant, chez nous, que les cercles politiques et les élus n’aient pas un intérêt pour le tourisme et ignorent fréquemment son fonctionnement, ses enjeux et ses mécanismes. Alors que c’est une industrie complexe qui demande de plus en plus de connaissances de pointe. Le message officiel de la « France, première destination mondiale » berce nos élus et nos gouvernants.
Pourtant, le tourisme représente près de 7 % du PIB et presque 1 million d’emplois directs et indirects. Mais tout reste à organiser, ce qui ne peut se faire tant que nous aurons un millefeuille d’entités publiques et parapubliques qui ne feront que défendre leur petit pré carré local, et tant que notre ministère du Tourisme sera au dernier rang du protocole gouvernemental.

 Propos recueillis par Lotfi Mansour




Sale temps pour l’hôtellerie

« Le potentiel du tourisme est toujours là, mais on ne peut rester longtemps sans engager les réformes nécessaires. Il y a tellement de réformes à mener, mais l’ambiance n’est pas propice. » Le président de la FTH, Radhouane Ben Salah, exprime son désarroi dû notamment au « manque de visibilité pour le pays qui se répercute sur le tourisme ».

Tout en concédant que la conjoncture n’est pas alarmante pour le secteur – puisque la forte baisse du marché français est quelque peu rééquilibrée par l’augmentation prévisible des réservations des marchés britannique et allemand, aussi bien pour l’hiver que pour l’été 2014 – il souligne le danger qu’il y aurait pour les hôteliers à subir plus longtemps la situation actuelle. « Pour le même chiffre d’affaires, la rentabilité est divisée par deux, à cause de la quasi stagnation des prix de vente et surtout de la hausse vertigineuse des coûts », souligne-t-il.

Ce danger, on commence déjà à en entrevoir les conséquences avec les fermetures d’hôtels pour cause de difficultés financières qu’on espère seulement saisonnières. Ils viennent s’ajouter à la centaine d’hôtels endettés obligés de passer sous les fourches caudines de l’AMC, la future société de gestion d’actifs (lire notre article de décembre 2012).

Les traditionnels bons élèves de notre hôtellerie ne sont pas épargnés. Certains sont contraints de “se mettre à l’abri” d’une franchise de chaîne étrangère – comme c’est le cas du Sultan Hammamet rejoignant la chaîne Sentido – ou d’un contrat de gestion pour compte qui leur est moins favorable qu’il n’aurait pu l’être avant 2011. Quant aux hôtels sous contrat de location, ils subissent la pression de leurs locataires pour baisser le loyer. Pire, certains propriétaires n’arrivent plus à retenir la chaîne locataire, même au prix d’une baisse drastique du loyer comme cela a été le cas avec le Club Med à Hammamet.

BenSalah_BelajouzaRadhouane Ben Salah, président de la FTH, et Mohamed Belajouza, PDG de la chaîne Seabel.

Il est vrai que de rares hôteliers résistent à ce “bradage forcé”, mais ils ne sont pas légion. C’est le cas de la chaîne Seabel qui a préféré mettre fin à la location de l’hôtel Aladin Djerba plutôt que de réviser son loyer. Mohamed Belajouza, PDG de la chaîne, ne voit dans cette décision « aucune bravoure » mais « une question de principe ». Et pourtant il a été contraint ensuite de fermer l’hôtel (jusqu’au mois d’avril 2014) à cause de l’effondrement du marché français, principal pourvoyeur de clients de l’hôtel.

On est donc bel et bien en face d’une dépréciation de notre patrimoine hôtelier. La ruée des chaînes internationales telles que Hilton, Mariott et autres Four Seasons sur les hôtels de ville ou les resorts le prouve plus qu’elle ne l’infirme. Ces chaînes sont mieux placées que d’autres pour “flairer les bonnes opportunités” et prendre des options (qu’elles peuvent toujours annuler) au moment où les prix sont en baisse.

Au vu de cette détérioration, l’immobilisme de l’administration détonne. La seule réforme de l’Open Sky, dont l’ajournement n’a pu empêcher la descente aux enfers de Tunisair, aurait pu apporter une clientèle nouvelle, et donc un répit, pour des régions comme Djerba dont le manque de liaisons aériennes est patent. A titre de comparaison : en Espagne, l’Open Sky s’est accompagné d’une fidélisation de la clientèle et d’une progression des dépenses moyennes par séjour. Marrakech a vu exploser le nombre des palaces et des hôtels 5 étoiles depuis l’Open Sky.

Nous, en bloquant l’accord Open Sky prétendument pour sauver Tunisair, nous aurons la faillite de Tunisair et celle de nos hôtels. On s’étonne de ne pas voir les hôteliers plus revendicatifs pour la mise en place d’une telle réforme. Sans oublier celle de l’ONTT, qu’on désespère de voir se réaliser un jour.

Sale temps pour l’hôtellerie et pour les hôteliers.




Le vrai bilan du tourisme tunisien

Le bilan du tourisme tunisien n’est  pas celui qu’on nous présente. En confondant le nombre d’arrivées et le nombre de touristes, on surévalue les performances touristiques du pays. Et tout indique que les produits de diversification s’effondrent.

En analysant les chiffres de l’ONTT, on s’aperçoit que le bilan du tourisme tunisien n’est  pas celui qu’on nous présente. Le potentiel touristique du pays est largement surévalué. A peine 4 millions de touristes non résidents en 2012, au lieu des 6 millions annoncés : l’administration compte comme touristes des voyageurs en transit ou des  croisiéristes qui ne passent que quelques heures dans le pays. Sans doute ce subterfuge est-il une ancienne habitude ; mais la “machine à faux touristes” n’a jamais cessé de fonctionner. Par ailleurs, le recul – ou plutôt l’effondrement – de tous les produits de diversification est un fait nouveau, et alarmant.

Avec le taux de la croissance économique, les performances ou contre-performances du tourisme sont un des sujets qui alimentent le plus les polémiques ces derniers temps. La dernière en date a été lancée par l’ancien ministre des Finances Houcine Dimassi. Celui-ci a déclaré le 14 octobre sur une radio que « parler d’une réussite de la saison touristique actuelle est une manière de tromper l’opinion publique », mettant en doute le lien entre résultats économiques et volume d’entrées touristiques.

Houcine Dimassi ne croyait pas si bien dire, sauf que « la tromperie » réside dans les chiffres mêmes des entrées. A l’occasion de la parution, ce mois-ci, du « Tourisme en chiffres » que publie annuellement l’ONTT, nous avons choisi de faire parler ces chiffres concernant l’année 2012. Et comme chacun le sait, les chiffres sont têtus.

Il en ressort deux principales conclusions :
–         le secteur est plus en recul qu’on ne le dit puisque le comptage des touristes est contestable ;
–         le secteur a pris le chemin inverse des “déclarations stratégiques”, notamment en matière de diversification. Tourisme culturel, thalassothérapie, golf, tourisme saharien : tous ces produits ont en commun que leur activité a chuté de moitié, sinon plus ; et 2013 n’y pourra rien changer.

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Les arrivées, oui ; mais lesquelles ?

Selon les statistiques officielles, le nombre de touristes ukrainiens aurait progressé de 66% entre 2010 et 2012, et réaliserait encore un bond de 60% durant les 9 premiers mois de 2013 par rapport à 2012. C’est cet exemple que cite un hôtelier de Djerba pour dénoncer « les tromperies des statistiques officielles ». Car selon lui, ces Ukrainiens, « on n’en voit pas la couleur dans les hôtels puisqu’ils ne font que transiter par la Tunisie pour aller en Libye où ils travaillent ».

Le cas des Ukrainiens illustre moins une falsification des chiffres officiels qu’un “mensonge par omission”. L’administration, depuis belle lurette, enjolive l’attractivité touristique du pays en mettant en avant les “arrivées aux frontières” et non pas, comme l’auraient souhaité les hôteliers, les “arrivées dans les hôtels” qui sont pourtant publiées chaque année par l’ONTT.

En effet, en 2012 les “arrivées aux frontières” – qui comptabiliseraient, selon l’ONTT, « tout visiteur qui effectue un séjour d’au moins 24h en Tunisie ou au moins une nuitée »  – se montaient à 5,9 millions de “touristes”. Alors que dans les hôtels, l’ONTT ne dénombrait que 4 millions d’arrivées de non-résidents (y compris quelque 38 000 Tunisiens résidents à l’étranger). Et c’est la différence entre ces deux chiffres, soit 1,87 million, qui fait polémique. S’agit-il de “vrais touristes”, qui logent chez l’habitant ou louent des logements, ou s’agit-il de simples voyageurs en transit ?

Dans le cas des Ukrainiens, c’est cette dernière hypothèse qui semble la plus vraisemblable puisqu’ils étaient 26 754 à franchir nos frontières en 2012, mais seulement 6 415 à arriver dans nos hôtels. Où sont passés les 20 000 autres Ukrainiens ? Certainement pas en aussi grand nombre à loger chez l’habitant.

La thèse du recours au logement locatif semble plus plausible dans le cas de nos voisins algériens et libyens. Mais cet argument, longtemps avancé par l’administration, ne résiste pas non plus à l’examen des chiffres.

En effet, en 2012 les arrivées de Libyens aux frontières étaient de 1,887 millions, mais avec une durée moyenne de séjour dans le pays de seulement 0,5 jour. Pour les Algériens, les arrivées aux frontières se montaient à 901 674 visiteurs, pour durée de séjour de 0,7 jour. Ces chiffres supposent qu’il existe une grande part de ces “visiteurs” qui n’ont passé en Tunisie qu’une heure ou deux, en tout cas moins d’un jour. Ils ne méritent donc pas l’appellation de “touristes” – du moins selon la définition donnée par l’ONTT lui-même, tout comme l’OMT pour qui « un visiteur est qualifié de touriste s’il passe au moins une nuit sur place ».

Ceci est d’autant plus vrai qu’un cinquième des Libyens (394 510 touristes) et un quart des Algériens (240 715) ont séjourné dans les hôtels, avec une durée moyenne de séjour hôtelier respectivement de 2,5 et 2,8 jours (l’ONTT distingue la « durée moyenne de séjour » qu’elle définit comme « le nombre moyen de nuitées passées dans le pays » et la durée moyenne de séjour hôtelier définit comme étant « le nombre moyen de nuitées passée dans les établissements d’hébergement »).

Reste le cas des croisiéristes qui sont de vrais visiteurs non résidents. Ils ne passent pas une nuit en Tunisie et ne peuvent donc être comptés comme “touristes”, mais plus exactement, et selon l’OMT, comme des “excursionnistes”.

Dans tous les cas, le nombre d’arrivées dans les hôtels est plus proche de la réalité du flux de touristes internationaux que celui des arrivées aux frontières. Et encore, ce nombre d’arrivées dans les hôtels dépasse le nombre réel de touristes, puisqu’un même touriste peut être compté plusieurs fois dans plusieurs hôtels au gré de ses déplacements et de ses excursions à travers le pays.

Adopter les “arrivées aux frontières” comme  critère pour dénombrer les touristes apparaît dans ces conditions comme une tromperie manifeste. Si on adoptait les arrivées dans les hôtels comme mesure de la performance du tourisme tunisien, on s’apercevrait que le recul entre 2010 et 2012 est de 20%, et non de 13,8% comme le laisse apparaître le critère des arrivées aux frontières. Ceci explique-t-il cela ?

graphique21_2Source : ONTT (il est à signaler que l’ONTT ne publie plus les chiffres de l’emploi dans le tourisme depuis 2011)

 

Il était une fois la diversification

« La culture, c’est comme la confiture : moins on en a, plus on l’étale. » C’est cet adage que les responsables du tourisme tunisien semblent mettre en application lorsqu’ils multiplient les déclarations selon lesquelles l’avenir du tourisme tunisien serait culturel ; un avenir qui serait aussi fait de tourisme régional et de diversification tous azimuts.

Pourtant, depuis la révolution, on a pris le chemin inverse et annihilé dix ans d’une diversification certes modeste, mais bien réelle. En effet, entre 2010 et 2012, la fréquentation des sites et musées a chuté de 48%. Celle des centres de thalasso, de 44%. De même pour les golfs où le nombre de green-fees a, lui aussi, reculé de 44%.

Pour certains marchés, ce recul est alarmant et semble indiquer un changement profond de la demande pour la Tunisie. Il en est ainsi pour le marché français où le nombre de curistes en thalassothérapie s’est effondré de 62% (31 973 contre 82 406 en 2010), contre un recul des nuitées de “seulement” 32% (5 887 340 nuitées contre 8 700 649 en 2010). Alors que sur d’autres marchés la baisse des curistes suit la même tendance que celle des nuitées – comme en Suisse où la baisse des curistes atteint 44%, à peine plus que les nuitées qui fléchissent de 39,9%. On en déduit que la clientèle française n’a pas seulement diminué en volume : elle a aussi changé de nature.

Quant aux régions défavorisées, censées devenir prioritaires par la grâce de la révolution, leur situation est encore pire qu’avant. La région de Gafsa-Tozeur a perdu près de 70% de ses nuitées (310 919 nuitées contre 998 287 en 2010). Celle de Tabarka-Aïn Draham enregistre un recul de 40% de ses nuitées.

Il semble bien que, contrairement aux politiques affichées, le tourisme tunisien redevient de plus en plus balnéaire et de plus en plus concentré sur les régions classiques.

LM




Il était une fois l’Abou Nawas

Si la chaîne Abou Nawas n’existe plus, son esprit est toujours présent, perpétué par les innombrables “ex-Abou Nawas” qui font le tourisme d’aujourd’hui. Exhibé dans les discours ou dans les CV, le nom de l’Abou Nawas fait office de référence quasi académique pour l’hôtellerie en Tunisie. Une grande école qui a vu naître les premiers manuels de procédures, les premiers manuels de formation – que ce soit pour les directeurs d’hôtels ou pour les animateurs –, la première charte graphique et de communication… Une véritable chaîne “à la tunisienne” comme il n’en existe pas jusqu’à aujourd’hui. Pour la mémoire, et un peu par nostalgie, nous sommes allés à la rencontre de quelques-uns de ces “ex” (lire leurs témoignages) et publions quelques photos d’époque.

Photos-A_AbouNawas

L’histoire de l’Abou Nawas est celle d’une coopération arabo-arabe – tuniso-koweitienne en l’occurrence – qui a longtemps fait rêver, avant de se fracasser sur le mur de la politique arabe. Une histoire d’amour qui a fini mal, spécialement pour son plus illustre PDG, Ahmed Al Ibrahim, qui a subi l’expulsion de Tunisie sous la pression des autorités koweitiennes.
Tout commence le 20 octobre 1976. Le Consortium Tuniso-Koweitien de Développement (CTKD) est alors créé avec un capital à majorité koweitienne. Dans la foulée, le CTKD crée l’agence Abou Nawas Travel et la Société Abou Nawas de Gestion Touristique (SOGES), du nom du premier hôtel acquis, l’Abou Nawas Gammarth.
Sous la férule d’Ahmed Al Ibrahim entouré d’Abdelwaheb Soua à l’exploitation, Faouzia Belajouza aux finances et Raouf Ben Amor à l’animation et la communication – et bien d’autres grosses pointures comme Arbi Belkhadi aux Achats, Mokhtar Abid à la Direction Technique,  ou Annick Mahjoub au Marketing – la SOGES s’est retrouvée au fil des investissements et des partenariats avec vingt hôtels (voir ci-dessous). Quelques-uns figurent encore aujourd’hui parmi les meilleures unités du pays, même s’ils portent désormais d’autres enseignes.
L’épopée n’a pas survécu à la Guerre du Golfe. En effet, pour punir l’Etat tunisien de sa position jugée pro-irakienne, l’Etat du Koweit a décrété l’arrêt des investissements en Tunisie. Un ordre qui n’était pas du goût d’Ahmed Al Ibrahim, Koweitien marié à une Tunisienne et Tunisien de cœur, qui est allé jusqu’à s’associer avec des investisseurs saoudiens pour mener à son terme le projet de l’hôtel Le Palace à Gammarth. Un geste qui lui a valu d’être arrêté et expulsé de Tunisie. Ce départ sonnait le glas de la chaîne Abou Nawas, les successeurs d’Ahmed Al Ibrahim, comme Motlak Essanaie, ne pouvant empêcher l’inéluctable fin.

Que reste-t-il de l’Abou Nawas ?
Mais si la chaîne fait désormais partie de l’histoire du tourisme tunisien, son esprit est toujours présent à travers ses ex-cadres. En effet, ces derniers sont partout : à la tête de société de gestion hôtelière, directeurs d’hôtels, directeurs financiers, marketing ou des ressources humaines, cuisiniers ou même jardiniers. On les reconnaît d’abord à leur tenue. Tous, ou presque, sont toujours tirés à quatre épingles, un peu guindés comme s’ils portaient un uniforme. Ils parlent souvent de procédures, et confessent volontiers que « ça devrait fonctionner autrement ». Ces “ex-Abou Nawas” qui font aujourd’hui le bonheur des hôtels tunisiens restent liés par leur ancienne appartenance. Ils agissent parfois comme un réseau informel qui a ses codes et ses solidarités, y compris parmi les plus jeunes. Si un bilan de l’expérience Abou Nawas devait être établi, cet “esprit d’appartenance” figurerait certainement à son actif.

Historgramme-CTKD

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