Le vrai bilan du tourisme tunisien

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Le bilan du tourisme tunisien n’est  pas celui qu’on nous présente. En confondant le nombre d’arrivées et le nombre de touristes, on surévalue les performances touristiques du pays. Et tout indique que les produits de diversification s’effondrent.

En analysant les chiffres de l’ONTT, on s’aperçoit que le bilan du tourisme tunisien n’est  pas celui qu’on nous présente. Le potentiel touristique du pays est largement surévalué. A peine 4 millions de touristes non résidents en 2012, au lieu des 6 millions annoncés : l’administration compte comme touristes des voyageurs en transit ou des  croisiéristes qui ne passent que quelques heures dans le pays. Sans doute ce subterfuge est-il une ancienne habitude ; mais la “machine à faux touristes” n’a jamais cessé de fonctionner. Par ailleurs, le recul – ou plutôt l’effondrement – de tous les produits de diversification est un fait nouveau, et alarmant.

Avec le taux de la croissance économique, les performances ou contre-performances du tourisme sont un des sujets qui alimentent le plus les polémiques ces derniers temps. La dernière en date a été lancée par l’ancien ministre des Finances Houcine Dimassi. Celui-ci a déclaré le 14 octobre sur une radio que « parler d’une réussite de la saison touristique actuelle est une manière de tromper l’opinion publique », mettant en doute le lien entre résultats économiques et volume d’entrées touristiques.

Houcine Dimassi ne croyait pas si bien dire, sauf que « la tromperie » réside dans les chiffres mêmes des entrées. A l’occasion de la parution, ce mois-ci, du « Tourisme en chiffres » que publie annuellement l’ONTT, nous avons choisi de faire parler ces chiffres concernant l’année 2012. Et comme chacun le sait, les chiffres sont têtus.

Il en ressort deux principales conclusions :
–         le secteur est plus en recul qu’on ne le dit puisque le comptage des touristes est contestable ;
–         le secteur a pris le chemin inverse des “déclarations stratégiques”, notamment en matière de diversification. Tourisme culturel, thalassothérapie, golf, tourisme saharien : tous ces produits ont en commun que leur activité a chuté de moitié, sinon plus ; et 2013 n’y pourra rien changer.

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Les arrivées, oui ; mais lesquelles ?

Selon les statistiques officielles, le nombre de touristes ukrainiens aurait progressé de 66% entre 2010 et 2012, et réaliserait encore un bond de 60% durant les 9 premiers mois de 2013 par rapport à 2012. C’est cet exemple que cite un hôtelier de Djerba pour dénoncer « les tromperies des statistiques officielles ». Car selon lui, ces Ukrainiens, « on n’en voit pas la couleur dans les hôtels puisqu’ils ne font que transiter par la Tunisie pour aller en Libye où ils travaillent ».

Le cas des Ukrainiens illustre moins une falsification des chiffres officiels qu’un “mensonge par omission”. L’administration, depuis belle lurette, enjolive l’attractivité touristique du pays en mettant en avant les “arrivées aux frontières” et non pas, comme l’auraient souhaité les hôteliers, les “arrivées dans les hôtels” qui sont pourtant publiées chaque année par l’ONTT.

En effet, en 2012 les “arrivées aux frontières” – qui comptabiliseraient, selon l’ONTT, « tout visiteur qui effectue un séjour d’au moins 24h en Tunisie ou au moins une nuitée »  – se montaient à 5,9 millions de “touristes”. Alors que dans les hôtels, l’ONTT ne dénombrait que 4 millions d’arrivées de non-résidents (y compris quelque 38 000 Tunisiens résidents à l’étranger). Et c’est la différence entre ces deux chiffres, soit 1,87 million, qui fait polémique. S’agit-il de “vrais touristes”, qui logent chez l’habitant ou louent des logements, ou s’agit-il de simples voyageurs en transit ?

Dans le cas des Ukrainiens, c’est cette dernière hypothèse qui semble la plus vraisemblable puisqu’ils étaient 26 754 à franchir nos frontières en 2012, mais seulement 6 415 à arriver dans nos hôtels. Où sont passés les 20 000 autres Ukrainiens ? Certainement pas en aussi grand nombre à loger chez l’habitant.

La thèse du recours au logement locatif semble plus plausible dans le cas de nos voisins algériens et libyens. Mais cet argument, longtemps avancé par l’administration, ne résiste pas non plus à l’examen des chiffres.

En effet, en 2012 les arrivées de Libyens aux frontières étaient de 1,887 millions, mais avec une durée moyenne de séjour dans le pays de seulement 0,5 jour. Pour les Algériens, les arrivées aux frontières se montaient à 901 674 visiteurs, pour durée de séjour de 0,7 jour. Ces chiffres supposent qu’il existe une grande part de ces “visiteurs” qui n’ont passé en Tunisie qu’une heure ou deux, en tout cas moins d’un jour. Ils ne méritent donc pas l’appellation de “touristes” – du moins selon la définition donnée par l’ONTT lui-même, tout comme l’OMT pour qui « un visiteur est qualifié de touriste s’il passe au moins une nuit sur place ».

Ceci est d’autant plus vrai qu’un cinquième des Libyens (394 510 touristes) et un quart des Algériens (240 715) ont séjourné dans les hôtels, avec une durée moyenne de séjour hôtelier respectivement de 2,5 et 2,8 jours (l’ONTT distingue la « durée moyenne de séjour » qu’elle définit comme « le nombre moyen de nuitées passées dans le pays » et la durée moyenne de séjour hôtelier définit comme étant « le nombre moyen de nuitées passée dans les établissements d’hébergement »).

Reste le cas des croisiéristes qui sont de vrais visiteurs non résidents. Ils ne passent pas une nuit en Tunisie et ne peuvent donc être comptés comme “touristes”, mais plus exactement, et selon l’OMT, comme des “excursionnistes”.

Dans tous les cas, le nombre d’arrivées dans les hôtels est plus proche de la réalité du flux de touristes internationaux que celui des arrivées aux frontières. Et encore, ce nombre d’arrivées dans les hôtels dépasse le nombre réel de touristes, puisqu’un même touriste peut être compté plusieurs fois dans plusieurs hôtels au gré de ses déplacements et de ses excursions à travers le pays.

Adopter les “arrivées aux frontières” comme  critère pour dénombrer les touristes apparaît dans ces conditions comme une tromperie manifeste. Si on adoptait les arrivées dans les hôtels comme mesure de la performance du tourisme tunisien, on s’apercevrait que le recul entre 2010 et 2012 est de 20%, et non de 13,8% comme le laisse apparaître le critère des arrivées aux frontières. Ceci explique-t-il cela ?

graphique21_2Source : ONTT (il est à signaler que l’ONTT ne publie plus les chiffres de l’emploi dans le tourisme depuis 2011)

 

Il était une fois la diversification

« La culture, c’est comme la confiture : moins on en a, plus on l’étale. » C’est cet adage que les responsables du tourisme tunisien semblent mettre en application lorsqu’ils multiplient les déclarations selon lesquelles l’avenir du tourisme tunisien serait culturel ; un avenir qui serait aussi fait de tourisme régional et de diversification tous azimuts.

Pourtant, depuis la révolution, on a pris le chemin inverse et annihilé dix ans d’une diversification certes modeste, mais bien réelle. En effet, entre 2010 et 2012, la fréquentation des sites et musées a chuté de 48%. Celle des centres de thalasso, de 44%. De même pour les golfs où le nombre de green-fees a, lui aussi, reculé de 44%.

Pour certains marchés, ce recul est alarmant et semble indiquer un changement profond de la demande pour la Tunisie. Il en est ainsi pour le marché français où le nombre de curistes en thalassothérapie s’est effondré de 62% (31 973 contre 82 406 en 2010), contre un recul des nuitées de “seulement” 32% (5 887 340 nuitées contre 8 700 649 en 2010). Alors que sur d’autres marchés la baisse des curistes suit la même tendance que celle des nuitées – comme en Suisse où la baisse des curistes atteint 44%, à peine plus que les nuitées qui fléchissent de 39,9%. On en déduit que la clientèle française n’a pas seulement diminué en volume : elle a aussi changé de nature.

Quant aux régions défavorisées, censées devenir prioritaires par la grâce de la révolution, leur situation est encore pire qu’avant. La région de Gafsa-Tozeur a perdu près de 70% de ses nuitées (310 919 nuitées contre 998 287 en 2010). Celle de Tabarka-Aïn Draham enregistre un recul de 40% de ses nuitées.

Il semble bien que, contrairement aux politiques affichées, le tourisme tunisien redevient de plus en plus balnéaire et de plus en plus concentré sur les régions classiques.

LM