Vincci fête ses 20 ans

S’il y a une chaîne hôtelière européenne dont la création reste intimement liée à la Tunisie, c’est bien la chaîne Vincci Hoteles. Son promoteur feu Rufino Caléro en a décidé l’implantation en 2001 presque simultanément en Espagne et en Tunisie, puis au Portugal.

Vincci Hoteles fête aujourd’hui son 20e anniversaire en se prévalant de sa fidélité à ces 3 destinations où elle compte 37 hôtels de catégories supérieures (dont 5 en Tunisie et 3 au Portugal). Vincci Hoteles, que dirige aujourd’hui Carlos Caléro, le fils du fondateur, maintient la même stratégie d’implantation : « La chaîne a eu la proximité comme base de son développement, en pariant de manière claire sur le Portugal et la Tunisie où actuellement la chaîne ne se contente pas de maintenir sa présence mais aspire à l’augmenter », précise un communiqué de la chaîne espagnole.

Crise du COVID oblige, Vincci vient de lancer un nouveau label Vincci Care, qui sous tend un engagement de la chaîne pour la sécurité de ses hôtes et employés.




Réformes : l’internationalisation des entreprises

Pérenniser le secteur du Tourisme passe aussi – surtout – par la remise à flot de notre appareil productif, à savoir les entreprises. Pour cela, une solution s’impose : élargir leur horizon et exporter leur savoir-faire.

 

« Dans l’hôtellerie mondiale, il y a des surdoués : les Mauriciens, les Asiatiques, les Américains… mais les champions sont incontestablement les Espagnols », écrivait en 2018 le journal Travel Marketing.
Selon Deloitte, l’investissement hôtelier en Espagne a atteint en 2018 la somme faramineuse de 4,9 milliards d’euros. Le RevPar moyen, toutes catégories confondues, en zones balnéaires était de 86 euros à Gran Canaria, 78 euros à Majorque et 105 euros à Ibiza. Pas mal pour des hôtels saisonniers et de masse…

Mais la réussite des hôtels espagnols réside surtout dans leur internationalisation.

Les chaînes espagnoles à l’assaut du monde

Les difficultés économiques des années 90 ont amené le gouvernement espagnol à sécuriser le Tourisme en mettant en place un plan de relance de 24 milliards d’euros, comprenant aussi bien la qualité du service et la diversification du produit que l’internationalisation des entreprises de Tourisme.
Pour les chaînes hôtelières espagnoles, il s’agissait alors de lutter contre la saisonnalité, et pour ce faire la diversification géographique a concerné notamment les Caraïbes (proximité linguistique oblige).

En 1999, les chaînes espagnoles, Sol Meliá en tête, se lancent à l’assaut de l’Europe et des Caraïbes. Sol Meliá y investit à ce moment-là 210 millions d’euros pour racheter 11 hôtels, dont 9 à Paris.
Depuis, c’est par la franchise que ce développement s’effectue et, pour certains, par l’association avec de grands TO. Aujourd’hui, Sol Meliá compte 350 hôtels dont 140 en Espagne et 40 à Cuba.

Selon les dernières informations disponibles, l’administration du Tourisme en Espagne a consacré en 2016 un budget de 74 millions d’euros à l’internationalisation des entreprises du Tourisme.

Une question de volonté

Qu’est-ce qui nous manque pour initier, à notre échelle, un développement de cette nature pour nos entreprises ? Nos chaînes hôtelières sont-elles condamnées au marché tunisien et à rester d’éternelles franchisées ?
Sont-elles condamnées à se diversifier dans d’autres secteurs, sans atteindre dans aucun d’entre eux une taille critique permettant la conquête de marchés extérieurs ?

J’entends déjà les objections des sceptiques : le budget de l’Etat tunisien ne permet pas une telle politique ; nos chaînes hôtelières n’ont pas les moyens ni le savoir-faire des chaînes espagnoles.
Faux, car il s’agit plus d’état d’esprit et de volontarisme que de moyens financiers.

La chaîne Occidental Hoteles ne comptait en 2012 que 2 hôtels en Espagne, contre 16 à l’international. Cette chaîne (rachetée depuis par le Groupe Barcelo) compte aujourd’hui 51 hôtels, dont 26 hors d’Espagne.
Nos cadres hôteliers ne font-ils pas déjà le bonheur des hôteliers de nombreux pays, y compris certains de nos concurrents ? Pourquoi ce qui a été possible pour des entreprises tunisiennes d’autres secteurs ne le serait-il pas pour nos hôtels et nos agences de voyages ?
Les 300 000 Tunisiens qui voyagent chaque année en France (l’équivalent d’un million de nuitées) ne pourraient-ils pas être intéressés par une enseigne adaptée à leurs attentes ? Et qu’attendent nos agences de voyages pour s’implanter en Algérie… l’ouverture de la frontière maroco-algérienne ?

La synergie public/privé

Cependant, et pour revenir au cas espagnol, une telle ambition suppose un préalable : une grande synergie entre le public et le privé, scellée en Espagne grâce à l’implication constante depuis 20 ans de l’Etat dans le développement du secteur.

En effet, avant de pouvoir exporter son “business model touristique”, l’Espagne a dû remettre à flot non seulement son tourisme et ses hôtels, mais aussi ses infrastructures pour ensuite créer le Segittur chargé d’exporter le “savoir-faire touristique espagnol”. Cet organisme est l’initiateur d’un programme « Destination touristique intelligente » (Smart Destination) qui ne vise pas moins que « l’internationalisation des entreprises liées à l’activité touristique » ainsi que « la participation d’entreprises espagnoles dans les projets touristiques mondiaux », nous rapporte le Courrier d’Espagne.

On serait donc bien inspiré d’instaurer cette synergie public/privé en commençant par la restructuration abordée dans notre précédent article, ainsi qu’un plan de mise à niveau de nos entreprises de Tourisme comprenant notamment un plan de soutien à la rénovation des hôtels dans le cadre de la mise en place des nouvelles normes.

Une révision du Code des investissements dans le Tourisme ou l’octroi d’un statut fiscal particulier pour les entreprises pourrait se faire en tenant compte des deux critères :

  • apport à la balance touristique,
  • initiation de projets à l’international.

Le reste est une question de volonté de la part de nos dirigeants et décideurs du Tourisme.
Qu’il leur suffise de méditer l’exemple d’un célèbre Tunisien qui, bien que borgne, a compté parmi les hommes les plus visionnaires de l’histoire de l’humanité : Hannibal.

    Lotfi Mansour

 

 




Réformes : la déliquescence du système de gouvernance

Depuis une vingtaine d’années, le Tourisme tunisien est mis sous pilotage automatique. Les mêmes structures, les mêmes études, les mêmes méthodes, les mêmes reflexes sont reproduits. Avec la crise du Covid19, le temps est venu pour l’équipage de reprendre les commandes.

 

Comme nous l’écrivions dans notre précédent article, la crise du Covid19 va nous obliger à repenser les fondations mêmes du secteur. Et les réformes réussies de l’Espagne il y a vingt ans sont un exemple à suivre.

En Tunisie, cette crise survient en effet au pire moment pour nos structures publiques comme privées.
En février 2017, la Ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Selma Elloumi, constatait devant l’ARP « la déliquescence du système de gouvernance des structures de tutelle du secteur ». Dans la foulée de cette déclaration, on a restructuré la formation professionnelle et puis… C’est tout.
Nos fédérations professionnelles, quant à elles, peinent à se faire entendre et à récolter des cotisations suffisantes pour leurs frais de fonctionnement.

Les professionnels face au Covid19

Individuellement, beaucoup de nos “grands professionnels” ont montré leurs limites managériales, humaines et patriotiques en refusant, dans leur majorité, d’accueillir les membres du corps médical au sein de leurs hôtels. A quelques rares exceptions près – dont un patron de chaîne hôtelière honni ces dernières années – c’était un refus catégorique.

En Espagne, le Covid19 a été pour les hôteliers espagnols l’occasion de montrer leur parfaite symbiose avec l’Etat espagnol et se sont portés à la première ligne de la lutte contre la pandémie.
A Barcelone seulement, ce sont 2500 chambres dans 6 hôtels de luxe qui hébergent les malades convalescents.

En Tunisie, on a dû se rabattre sur un vieil hôtel fermé depuis deux ans pour le confinement de Tunisiens revenant de l’étranger. L’Etat devrait se résoudre bientôt à réquisitionner des hôtels.

Système de gouvernance : l’exemple espagnol

Trois ans après la déclaration ministérielle sur la déliquescence de nos structures publiques, et devant l’impuissance avérée des structures professionnelles, le moment est propice pour une refonte du système de gouvernance du tourisme tunisien.
Un système basé sur le partage des expertises et des compétences et où l’Etat resterait le “maître d’œuvre” de la politique touristique, comme c’est le cas en Espagne.

Voici ce qu’en disait l’ambassadeur de France en Espagne en 2015 : (voir source)

Dans un pays fortement décentralisé comme l’Espagne, les compétences en matière de Tourisme relèvent des gouvernements des Communautés autonomes (CA). Mais, conscient de l’importance du secteur, l’Etat n’a rien cédé de sa compétence générale de coordination des politiques publiques menées avec les régions et en lien avec le secteur privé…

L’organisation de la filière touristique espagnole apparaît ainsi des plus performantes grâce à sa capacité à fédérer et à susciter l’adhésion de l’essentiel des acteurs concernés, publics comme privés, autour d’une stratégie nationale. Sous l’impulsion du SETUR (Secrétariat au Tourisme), cette stratégie s’appuie sur les organismes suivants :
La Conférence sectorielle du Tourisme (présidée par le ministre en charge du Tourisme)
La Commission interministérielle du Tourisme (qui coordonne les actions des intervenants des différents ministères)
Le Conestur (Conseil national du Tourisme où siègent aussi bien des privés que des experts indépendants)
Turespaña (chargé de la promotion de l’Espagne)
Exceltur 

Ce dernier est ainsi décrit :

Exceltur est à la fois un think tank et un lobby du secteur touristique, qui réunit 24 des entreprises les plus emblématiques de la chaîne de valeur du secteur (transport aérien, ferroviaire, maritime ou terrestre, hôtellerie, tour-opérateurs, etc.). Les rapports et études qu’il produit font référence non seulement en Espagne, mais également pour des organismes tels que l’OCDE et l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT). 

C’est ce tissu d’expertise, d’entente et de coopération qui a permis à l’Espagne de parler comme un seul homme et de songer à la fermeture de ses frontières aux touristes étrangers jusqu’au mois de septembre. Sachant bien que ce choc sera amorti par le tourisme local (voir notre article).

Il est donc temps de transformer, comme prévu, l’ONTT en agence de promotion, et de renforcer les structures du Ministère en lui adjoignant un équivalent du CONESTUR espagnol ainsi qu’une Commission interministérielle du Tourisme.

Pour les professionnels, il est peut-être temps qu’ils songent à créer leur propre Exceltur.

Lotfi Mansour

A suivre demain, 3e partie : internationalisation des entreprises et innovation.




Réformes : et si on regardait du côté de l’Espagne ?

N’ayant pas tiré les leçons de nos échecs passés, il nous reste à nous inspirer du succès des autres et, à leur tête, l’Espagne. Les effets de la crise du Covid19 seront sans précédent pour le secteur et ses entreprises. On n’aura pas seulement à endiguer les effets d’une énième crise avec des réformettes, mais à refaire les fondations mêmes du secteur.

 

L’histoire du tourisme tunisien des vingt dernières années est celle d’une succession de crises, suivies de bonnes résolutions qu’on s’est vite empressé d’oublier. 2001 (le 11 septembre), 2002 (l’attentat de Djerba), 2008 (la crise économique mondiale), 2011, 2015 et enfin 2019 (Thomas Cook) : aucune de ces secousses ne semble nous avoir suffisamment ébranlés pour nous conduire à remettre en cause nos dogmes, parmi lesquels :
– le tourisme local est un marché d’appoint,
– le face-à-face public/privé est voué à tenir plus du conflit larvé que d’une véritable coopération,
– l’horizon des entreprises de tourisme (dans le réceptif ou l’outgoing) est limité à la Tunisie.

Dans ces trois domaines, l’Espagne est devenue un modèle qui inspire même les plus grandes destinations comme la France (*).

Comment l’Espagne s’est-elle hissée au 2e rang mondial des destinations ? Comment peut-elle se permettre aujourd’hui d’envisager la fermeture de ses frontières aux touristes étrangers jusqu’au mois de septembre ?
Il y a 20 ans, l’Espagne était comme un “modèle agrandi” de notre destination. Elle en avait tous les problèmes : tourisme « Sol y playa » nécessitant de se diversifier, étroite dépendance envers les TO (et notamment de ceux des marchés allemand, anglais et français), forte saisonnalité, groupes hôteliers familiaux nombreux et concentrés en Espagne… etc.
Les réponses apportées ont, depuis, permis la croissance et la pérennisation du tourisme espagnol. Des réponses et des leçons à tirer que nous allons passer en revue en trois articles.

Dans le premier, nous traitons d’abord du poids du marché local.

Le marché local, une assurance tout risque

En Espagne, le marché local représente 50% du PIB du tourisme. Plus de 90% des voyages organisés des Espagnols se font en Espagne même.
Les Tunisiens, eux, étaient 2,5 millions à voyager… à l’étranger en 2018, ce qui représente 30% du total des arrivées internationales. La Omra à elle seule engloutit plus de 50 millions de dinars chaque année.

Le budget moyen des voyages des Espagnols était de 1651 € en 2018, sachant que le PIB/habitant y dépasse les 36000 US$.
En Tunisie, l’allocation touristique autorisée pour chaque Tunisien est de 6000 Dt (soit 2000 €, en plus de celles allouées aux voyages d’affaires ou AVA) pour un PIB par habitant dix fois moindre que celui des Espagnols, soit 3400 US$. Cherchez l’erreur…

Ces chiffres montrent qu’il est temps d’avoir une vraie stratégie pour le tourisme local qui aille de pair avec une vraie volonté de préserver et d’améliorer la balance touristique, donc de préserver des devises chèrement acquises.

Les entreprises de tourisme qui ne répondent ni à l’un ni à l’autre de ces impératifs ne doivent plus bénéficier du statut d’entreprises touristiques, notamment en matière fiscale.
Les autres doivent être davantage soutenues.

Changer la perception du tourisme par les Tunisiens

En complément de cette stratégie de commercialisation sur le marché local, il serait opportun d’engager une réflexion pour que le plus grand nombre de Tunisiens puisse partir en vacances en Tunisie au moins une fois l’année, et ainsi vivre le tourisme au lieu d’en entendre seulement parler dans les médias.

De nos jours, il est de bon aloi de parler de tourisme durable. Pour qu’il le soit en Tunisie, il faudrait d’abord qu’il devienne acceptable par la population locale et donc qu’elle puisse aussi en profiter.
Des idées comme la Bourse Solidarité Vacances (France) sont à méditer.

Lotfi Mansour

A suivre demain : pour un système de gouvernance performant et participatif.

(*) : dès 2010, l’Espagne était devenue un modèle à suivre pour la relance du tourisme, et le ministère français de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi commandait à KPMG une étude portant sur une « analyse comparative des centres de profit des industries touristiques française et espagnole ».