Compétitivité : regagner le terrain perdu

Classée au 85e rang mondial en 2019 alors qu’elle était 39e en 2008, la Tunisie a perdu beaucoup de sa compétitivité. L’amélioration de l’index de compétitivité devrait être à la base de la stratégie de relance du tourisme. Une interview de Lotfi Mansour parue le 5 juin dans le journal Le Temps.

 

Où en est la destination Tunisie concernant sa compétitivité ? Plus précisément, quels sont ses points forts et ses faiblesses à ce sujet ?

Lotfi Mansour : Si on se réfère à l’index de compétitivité que publie régulièrement le Forum Economique Mondial dans son rapport Travel & Tourism Competitiveness, nous sommes, bien derrière nos principaux concurrents, au 85e rang sur 140 pays avec un score qu’on peut qualifier de moyen et qui est de 3,6 sur 7 (chiffres de 2019). Pour situer cette « performance », la Tunisie était 39e (sur 130 pays) en 2008, 79e en 2015 (sur 141 pays) et 87e en 2017 (sur 136 pays).

Cet indice est l’agrégation des notes obtenues sur de nombreux critères. C’est sur le critère prix que nous obtenons notre meilleure note : 6,1 / 7 avec un 12e rang mondial. Nous aurions préféré une note « moins bonne » sur ce critère qui nous identifie comme une destination bon marché. Mais nous pouvons parler à ce propos « d’amélioration », puisqu’après avoir été au 7e rang mondial en 2015, nous ne sommes désormais plus dans le peloton de tête des destinations « les moins chères ». Une telle tendance, si elle se confirme, pourrait contribuer à améliorer la rentabilité du secteur qui n’est pas non plus brillante.

Notre plus mauvais score est obtenu sur le critère « ressources naturelles et culturelles » en tant que « raison principale du voyage » : notre note est de 2 sur 7 et nous vaut la 100e place. Ce chiffre devrait nous interpeller pour notre future stratégie.

Justement, comment peut-on améliorer notre compétitivité ?

L. Mansour : Pour des pays comme la France, par exemple, l’index de compétitivité et son amélioration a été à la base de la stratégie de relance du tourisme il y a quelques années et a fait passer la destination du 15e rang en 2011 au 2e actuellement.

Pour ce qui de la Tunisie, si nous prenons le seul critère du « Tourisme Culture et Nature » dont l’index est obtenu sur la base « du nombre des sites naturels et culturels classés par l’UNESCO ainsi que du nombre de demandes sur le net pour les sites culturels et/ou naturels », nous devrions, d’une part, activer l’obtention de classement de nouveaux sites et donner à l’ensemble plus de visibilité sur le net, et, d’autre part, viser dans notre commercialisation les clients dont la Culture ou la Nature sont les principales motivations de voyage, en plus de ceux qui viendraient pour un séjour balnéaire et seraient tentés de le prolonger par des visites et des excursions.

Le balnéaire restera « un produit vache à lait » mais nous n’avons plus besoin d’en parler à tout bout de champ. Le propre d’un « produit vache à lait » (qui a une forte part de marché dans un marché en faible croissance et duquel on tire l’essentiel des bénéfices, d’où l’expression vache à lait), c’est qu’il n’a plus besoin d’accaparer les dépenses en investissement ou en communication.

C’est un peu comme la remarque que s’est attirée Michel Boujenah à ses débuts en France, quand quelqu’un lui a conseillé : « Arrête de dire que tu es tunisien, ça se voit tellement ! ». A force de dire qu’on a de belles plages, les gens finissent à croire qu’on n’a que ça.

Faut-il instaurer un autre modèle de développement touristique, fondé sur un nouveau cadre politique consolidé, pour permettre au tourisme de se développer de manière compétitive et durable ?

L. Mansour : Vaste question… Déjà, il nous faut améliorer notre gouvernance du secteur en précisant la vocation des uns et des autres. Concernant la promotion du Tourisme Culturel, par exemple, qui doit être le chef de file d’une politique dans ce domaine, l’ONTT (qui a le budget) ou l’AMVPPC (qui a la gestion et la promotion des sites et musées) ? Une même opacité existe pour le Tourisme des Jeunes (ministère du Tourisme versus ministère de la Jeunesse et du Sport qui gère les auberges de jeunesse) ou pour le Tourisme de Santé (ministère du Tourisme versus ministère de la Santé, et plus précisément l’Office National du Thermalisme et de l’Hydrothérapie qui est en charge de la thalasso). L’ONTT lui-même doit se décider définitivement sur sa vocation : doit-il se concentrer sur la promotion, comme le suggère une réforme qu’on remet au lendemain depuis 20 ans ? L’inspection des hôtels nécessite-t-elle à elle seule des commissariats, ou faut-il réfléchir à des offices de tourisme régionaux ? Et ainsi de suite.

Je pense qu’à court terme, il nous faut lever deux hypothèques qui pèsent lourdement sur le tourisme tunisien : l’hypothèque politique (qui fait par exemple que le musée du Bardo est fermé depuis près d’un an) et celle du traitement des déchets (ménagers et solides y compris ceux des hôtels). J’ajouterai une troisième hypothèque à lever : celle de l’aérien. Ensuite, il nous faut une réflexion pour rendre notre tourisme « acceptable et rentable ». Acceptable par les Tunisiens, par une politique de tourisme local et régional ambitieuse (qui aura pour leitmotiv de rendre le tourisme accessible au plus grand nombre), et rentable en diminuant sa dépendance vis-à-vis des compagnies et produits non tunisiens. Pour être plus clair, nous devons nous soucier un peu plus de notre balance touristique et de la balance commerciale tout court, donc optimiser le tourisme réceptif, rationaliser l’outgoing et notamment la Omra, diminuer le poids des intermédiaires (TO en tête), accélérer la digitalisation, rendre l’Open sky effectif, etc.

Interview publiée dans le journal Le Temps du 5 juin sous le titre : « Nous sommes, bien derrière nos principaux concurrents, au 85e rang sur 140 pays »