« Je reproche au Ministre de ne pas s’occuper du secteur »

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En Angleterre, le gouvernement vient de dissoudre le ministère du Tourisme dans un grand ministère chargé de la culture, du sport et des media. Cette décision a provoqué la colère des professionnels anglais du tourisme qui réclament un ministère à part entière pour leur secteur. Qu’en pensez-vous ?

Mohamed Belajouza
Moi, je me pose la question de savoir si, avec les 4 millions de touristes européens que nous recevons annuellement, nous avions vraiment besoin, en plus de l’Office du tourisme qui compte quelque 1300 personnes, d’un ministère comptant une quarantaine de personnes. Je dis quatre millions de touristes car si je me réjouis, en tant que Tunisien, de l’arrivée de nos frères libyens et algériens pour leurs vacances, en tant que professionnel, je dois admettre qu’ils n’ont que peu d’effet sur nos établissements.
Il faut aussi préciser qu’en l’absence d’une clarification des rôles du ministère et de l’Office, on assiste souvent à des tensions entre les deux structures dont nous sommes généralement les premières victimes.
Par ailleurs, un ministre est censé développer et défendre son secteur. Nous constatons que l’actuel responsable du portefeuille du Tourisme n’a cessé, depuis son arrivée, de dire du mal de ses entreprises et de ses professionnels.
Faut-il aussi rappeler que, durant les cinq dernières années, nous avons vu la nomination de cinq ministres successifs et que nous avons dû reprendre avec chacun le travail d’initiation et d’explication effectué avec son prédécesseur ? Cette grande mobilité des ministres, soumis à des impératifs politiques des gouvernements, et donc aux remaniements ministériels fréquents, ajoute à la fragilité d’un secteur qui a besoin de stabilité et de constance. C’est pour toutes ces raisons que nous demandons à ce que le secteur soit supervisé par l’ONTT, en attendant que celui-ci procède à sa réforme tant attendue.
Quand on sait que l’Angleterre n’a plus de ministère du Tourisme et que la France, première destination mondiale avec 70 millions de touristes par an, ne possède qu’un secrétariat d’Etat non dédié exclusivement au tourisme, on se demande comment nous pouvons nous payer le luxe d’un ministère.
En parlant de la dette des hôteliers, monsieur le Ministre a cru bon de vous déclarer (Le Tourisme n°8, ndlr) que cette dette ne devait pas être réglée par le contribuable. Nous ne demandons pas cela ; mais nous constatons que le contribuable est en train de payer les frais d’un ministère qui ne sert à rien.

Apparemment, la rupture est consommée entre les fédérations professionnelles et le ministère. Qu’est-ce qui s’est exactement passé entre vous ?

M. Belajouza
Ce que nous reprochons à ce ministre, c’est qu’il ne s’occupe pas du secteur et qu’il n’a traité aucun dossier depuis son arrivée…

Pourtant, le ministère vient d’annoncer dans nos colonnes le règlement prochain du dossier de l’endettement par la création d’une société de gestion d’actifs, et le renflouement du budget de promotion par l’instauration d’une taxe sur le chiffre d’affaires des compagnies aériennes. Ne s’agit-il pas plutôt entre vous d’un problème d’incompatibilité d’humeur ?

M. Belajouza
J’y arrive. Les annonces qui vous ont été faites font partie de la stratégie du ministre. Il se spécialise dans les déclarations fracassantes qui restent sans suite, puisqu’elles sont faites sans concertation ni consultation. Pour les mesures dont vous parlez, nous les avons apprises par voie de presse. Je n’ai été informé de la création de la société de gestion d’actifs que par un écrit de la Banque mondiale, que j’ai reçu une semaine après l’annonce faite par le ministre. Celui-ci, suite à ma demande de recevoir plus de détails concernant cette société, m’a répondu qu’il m’en fournirait « en temps opportun ». Et il semble que ce temps n’est pas encore arrivé.
D’ailleurs, je me demande ce que vient faire un ministre du Tourisme dans un dossier qui ne concerne que les hôteliers et les banques créancières. La FTH a toujours été partie prenante de ce dossier dans les discussions et les réunions que présidait la Banque Centrale.
Concernant l’autre annonce – la taxe sur les compagnies aériennes – je me suis réjoui en l’apprenant, et j’ai immédiatement appelé le pdg de Tunisair pour le remercier de cette décision. Grande a été ma surprise en apprenant que ni M. Jrad, ni le ministre du Transport n’étaient au courant de cette décision. Voilà donc encore un exemple de la manière de faire de ce ministre.
A ce sujet, nous venons d’être invité par le ministère des Finances à une réunion d’échange de points de vue, et nous avons présenté notre idée d’une taxe de séjour que paieraient les visiteurs en soutien au budget de promotion. Le ministère des Finances a été fort intéressé par cette idée et vient de constituer une commission pour étudier les conditions d’application d’une telle taxe. On voit donc bien que le ministère du Tourisme n’était pas le bon interlocuteur pour faire avancer ce dossier.
Ceci renforce ma conviction que le ministère du Tourisme ne sert à rien, sinon à empêcher le renforcement de la profession. Car les gouvernements successifs ont toujours voulu une FTH aux ordres et des professionnels en position de faiblesse, et c’est dans ce sens que le ministre a raison de parler d’assistanat.
Les seules ressources de la FTH viennent des cotisations, qui ne sont là que les années où il y a une élection au sein de la fédération. On nous a enlevé les versements de notre part des cotisations patronales, que nous avions reçues deux fois avant la Révolution, et que reçoivent naturellement les autres syndicats patronaux. On rechigne aussi à nous verser la subvention qui nous a été promise pour finir la construction de notre nouveau siège. Et on nous refuse une subvention via le Fodec qui est alimenté par notre argent.
Finalement, il est clair qu’on veut nous maintenir dans un état de dépendance, en ignorant le fait qu’une fédération faible rejaillirait négativement sur l’ensemble du secteur.

Propos recueillis par Lotfi Mansour