Avion Condor Djerba : l’enfer est pavé de bonnes intentions

Un hôtelier tunisien a tenté de faire saisir par la justice un avion de Condor. Cette action, aussi légitime soit-elle, aurait pu avoir des effets collatéraux touchant aux intérêts globaux du secteur.

 

La tentative de saisie conservatoire à Djerba d’un avion de la compagnie Condor, filiale de Thomas Cook, a eu des répercussions au sein de la corporation hôtelière. En démissionnant de la FTH, l’hôtelier à l’origine de cette saisie, Mourad Khéchine, rend publique sa démission sur sa page Facebook et accuse la fédération hôtelière de prendre parti pour les Britanniques. Un vrai cas d’école où l’intérêt individuel d’un hôtelier ne sert pas forcément l’intérêt collectif.

Cette tentative de saisie était-elle légitime de la part de l’hôtelier ? Sans doute, tout chef d’entreprise a le droit, le devoir même, de préserver les intérêts de son entreprise sous peine d’être accusé de négligence, voire même d’abus de biens sociaux.
L’action était-elle légale ? Oui, assurément, puisqu’elle a été ordonnée par le juge du Tribunal de première instance de Médenine.
Enfin, était-elle opportune pour les intérêts globaux de l’hôtellerie et du tourisme tunisien ? Essayons d’y répondre.

Dans une lettre adressée au Président de la FTH, l’hôtelier à l’origine de cette action conclut sa missive par la question suivante : « Doit-on endosser la faillite de Thomas Cook, juste pour attirer la sympathie des Britanniques ? »
Une telle formulation montre que l’hôtelier en question ignore que rien au monde n’aurait fait autant plaisir aux Britanniques que la saisie d’un avion de cette filiale allemande de Thomas Cook.

En effet, comme nous l’expliquions (lire notre article « Too big to fail »), la décision du gouvernement britannique de “laisser tomber” Thomas Cook est d’essence politique et dirigée contre les Allemands, accusés d’avoir mal limogé en 2014 l’ancienne Directrice Générale (britannique) de Thomas Cook, Harriet Green. Un limogeage qui avait été accueilli par une chute de 20% de l’action Thomas Cook à la bourse de Londres.
Le renflouement immédiat de Condor, dont le siège est en Allemagne, par les autorités allemandes (380 millions d’euros, le 24 septembre) est aussi une réponse politique au “lâchage” des Britanniques.
Dans ce contexte, la tentative de saisie de l’avion Condor touche de toute évidence les intérêts allemands et non britanniques.

Au vu de cet imbroglio politico-financier entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne, et au vu du poids des opérateurs allemands dans notre destination – qui seront, à l’évidence, solidaires de Condor –, une pareille action coup de poing ne compromet-elle pas les intérêts de la destination et de Djerba sur le marché allemand ? Peut-on sacrifier un tel marché, qui représentait en 2018 près de 20% des nuitées européennes de Djerba et 17% de celles du pays, pour un hypothétique recouvrement ?

Il est un fait que le poids de cette faillite est lourd pour les hôtels concernés. Cependant, cela leur donne-t-il individuellement le droit de mettre en péril les intérêts de tout un secteur, ou d’agir à la manière d’un éléphant dans un magasin de porcelaine?
Mais la question que tout hôtelier doit désormais se poser est de savoir pourquoi certains de nos hôteliers avaient accepté les délais de règlement excessifs de Thomas Cook, alors que d’autres les ont refusés et ont cessé toute activité avec ce TO.

Il est évident que nos professionnels ont aujourd’hui plus besoin de concertation et de solidarité que de la désignation de boucs émissaires.
Il est évident aussi que le gouvernement tunisien doit être plus actif sur ce dossier, à commencer par des mesures exprimant la solidarité nationale envers les hôtels touchés et la concrétisation des promesses d’ “allègement de la trésorerie” faites lors de la réunion de crise du 24 septembre.

 Lotfi Mansour




Thomas Cook ou le syndrome “too big to fail”

Seuls les connaisseurs du secteur ne pouvaient pas croire à une faillite de Thomas Cook. Explication.

 

Alors qu’une conférence de presse sur la faillite de Thomas Cook vient d’être tenue par le Ministre du Tourisme (photo), l’opinion semble obnubilée par la recherche d’un coupable avec l’argument : « C’était prévisible et on aurait dû le prévoir ». Même si son impact sur l’hôtellerie tunisienne reste circonscrit, et relativement restreint par rapport à d’autres destinations.

Certains politiciens ont vu dans cette faillite l’occasion d’accrocher le Ministre du Tourisme, René Trabelsi ; d’autres, une défaillance dans la gestion des hôtels. A les croire, on aurait dû faire mieux que les Grecs, les Turcs, les Espagnols et toutes les destinations aux moyens incomparablement supérieurs aux nôtres…

Au sein des professionnels, la réaction presque commune est de dire : « Qui l’aurait cru ? ».
En effet, Thomas Cook fait partie des trois mastodontes du tourisme européen et mondial. Sa taille est si prépondérante dans le secteur que personne ne pouvait douter qu’il serait renfloué.
A l’image des grandes banques maintes fois renflouées pour leur éviter la faillite, on a pensé que Thomas Cook le serait aussi, surtout après le plan de sauvetage de l’actionnaire chinois Fosun qui avait mis sur la table 900 millions d’euros. Un plan qui semblait tenir la route et auquel il fallait ajouter 200 millions.

Le gouvernement britannique a préféré sacrifier la société plutôt que de la renflouer, sous prétexte que son « business plan n’était pas convaincant » et quitte à dépenser dans la foulée le double de l’aide demandée.
Comme Barack Obama pour Lehman Brothers, Boris Johnson, le Premier Ministre britannique, a décidé de laisser tomber Thomas Cook. L’aurait-il fait si Thomas Cook n’était pas si allemand ? Condor, lui, vient d’être secouru par les autorités allemandes avec 380 millions d’euros. Prions que le reste des filiales de Thomas Cook le soient aussi par leurs gouvernements respectifs.

Mais revenons à nos moutons (ou plutôt à nos ânes) qui sont allés jusqu’à insinuer une “collusion tunisienne” dans cette faillite. Alors que la seule faute des professionnels tunisiens, à l’instar des professionnels du monde entier, est peut-être d’avoir été trop bien informés de ce que représentait Thomas Cook dans le tourisme mondial : une société “too big to fail”. Et de lui avoir consenti, comme du reste tous les hôtels du monde entier, des délais de paiement excessifs (60 jours, extensibles d’un mois grâce à une clause de non paiement durant un mois par trimestre).

Suite des évènements

Lors de la conférence de presse tenue hier par le Ministre du Tourisme René Trabelsi en présence de l’Ambassadrice britannique et des présidents des fédérations professionnelles tunisiennes , promesse a été faite par le Ministre de proposer un CMR afin d’étudier la possibilité d’un report de paiement de certaines taxes sous forme d’un “crédit d’impôt”.

Concernant les clients séjournant actuellement en Tunisie, seule la situation des Britanniques est clarifiée (prise en charge des séjours par l’arrangement ATOL-gouvernement britannique de ceux séjournant du 23 septembre au 6 octobre).
Pour les autres nationalités, faute de réponse des filiales concernées, les hôtels tunisiens pourraient demander le règlement par les clients qui se feraient ensuite rembourser selon les règles de la directive européenne des voyages à forfait (en application depuis le 18 juillet 2018) laquelle stipule que le voyagiste doit prévoir la poursuite du séjour et le rapatriement de ses clients en cas de faillite.

Lotfi Mansour




Thomas Cook : quid des clients non britanniques ?

La faillite de Thomas Cook Group a pris effet ce matin même. Tel ne semble pas le cas pour ses filiales européennes.

 

La faillite de Thomas Cook Group est déclarée effective ce matin et concernera l’ensemble des entreprises du groupe, dont les tour-operators (Thomas Cook, Jet Tours…), les compagnies aériennes (99 avions avec Condor, Thomas Cook Airlines, etc.) et un réseau d’agences de voyages (544 en propre).

Cette débâcle laisse dans l’immédiat quelque 600 000 clients sur le carreau, parmi lesquels seuls les 150 000 Britanniques ont bénéficié d’un plan de rapatriement. Le sort des clients non britanniques de Thomas Cook reste incertain. En Tunisie, il s’agit notamment des clients de Thomas Cook Allemagne (75 000 clients réalisés en 2018), Jet Tours (France) et Thomas Cook Belgique qui risquent de grands désagréments dans les jours qui viennent, faute d’un plan de rapatriement organisé par leurs pays respectifs.

De sources concordantes, il semble qu’en France la faillite de la maison mère n’entraine pas « l’insolvabilité immédiate » des filiales françaises. De même en Allemagne, la filiale Thomas Cook Allemagne, qui est bénéficiaire, espère toujours éviter le sort de sa maison-mère. Un sursis de quelques jours que les hôtels tunisiens peuvent mettre à profit pour clarifier la situation des clients en cours de séjour en exigeant un règlement auprès des filiales concernées.

Lotfi Mansour