Discours de Fakhfakh : est-ce la rupture ?

Si la quasi-totalité des secteurs économiques du pays souffrent du Covid19, certains sont asymptomatiques ou se portent mieux qu’avant : agro-alimentaire, laboratoires… D’autres secteurs ont besoin de paracétamol. Le Tourisme, lui, est en détresse respiratoire ; pourtant le gouvernement regarde ailleurs.

 

La situation des entreprises du Tourisme est catastrophique, et elle le sera longtemps après le déconfinement. Dans le meilleur des cas, le retour partiel de l’activité à la fin de cet été/début de l’automne se fera à un prix de vente équivalent au coût marginal, puisque les TO demandent déjà des rabais de 50% pour l’été et de 30% pour l’arrière-saison.
Dans ces conditions, il sera moins coûteux pour nos hôtels de garder portes closes.

Oui, nos entreprises du Tourisme ne sont pas exemplaires à tous points de vue. Mais ce sont ces entreprises qui ont permis l’embellie relative de l’économie tunisienne et de sa balance des paiements en 2019.
Ce sont ces entreprises qui ont le plus contribué à la croissance de l’année dernière, aussi minime soit-elle, et ce sont elles qui accompagneront et boosteront demain la reprise économique du pays.

La dernière interview du Ministre du Tourisme sur El Hiwar laissait espérer (enfin !) l’annonce de mesures concrètes pour soulager un tant soit peu nos entreprises. Pourtant, point de mesures dans le discours d’hier soir du Chef du Gouvernement.
Mais le pire est que le Chef du Gouvernement n’a même pas daigné proférer un seul mot d’encouragement ou de consolation (faut-il dire de condoléances…) à l’égard de ces entreprises.
Pas un mot de remerciement pour les milliers de chambres mises à la disposition du Ministère de la Santé (même si certains de nos hôteliers ont manqué de spontanéité à cet égard). Mais beaucoup de passion à défendre des comportements peu vertueux qui défraient actuellement l’actualité.

Nous craignons que ce discours du Chef du Gouvernement soit celui de la rupture avec un secteur essentiel pour notre pays.
Nous craignons qu’il soit le reflet de l’état d’esprit d’une frange de nos politiciens qui considèrent que quoi qu’elles fassent, en temps de crise ou de croissance, les entreprises du Tourisme n’ont aucun mérite à le faire, ni considération à en attendre.
Nous craignons qu’un tel manque d’empathie envers un secteur des plus sinistrés n’entame la confiance des entreprises touristiques dans le gouvernement et dans l’avenir du secteur. Une perte de confiance dont la première conséquence sera un coup d’arrêt aux investissements, notamment pour la rénovation d’un parc hôtelier devenu obsolète.

Un tel coup d’arrêt, s’il advient, signera l’échec de toute tentative de réforme ou stratégie de relance du Tourisme tunisien.

Lotfi Mansour




Modèle de développement : bon constat, mais…

Le nouveau Chef du Gouvernement a appelé à un « changement du modèle de développement basé sur la création de haute valeur ajoutée et non plus sur les bas salaires » lors de son discours d’investiture ce matin à l’ARP.
Un diagnostic fort pertinent que ne réfuterait même pas l’UTICA. Le hic est que M. Elyes Fakhfakh complète cette annonce en conditionnant ce passage à un nouveau modèle par la refonte du système éducatif, « à commencer par l’école maternelle » comme il le précise. Autant dire que le changement souhaité ne sera pas pour demain.

La faille dans ce raisonnement est partiellement apportée par M. Fakhfakh lui-même quand il évoque la transition digitale et « la nécessité de garder nos compétences en Tunisie ». Il existe donc au moins un secteur à « haute valeur ajoutée » où ne se pose aucun problème de formation, mais bien celui du niveau des salaires face à un marché du travail mondialisé et hautement concurrentiel.
On pourrait aussi parler des médecins, des ingénieurs ou même des cadres de gestion, dont ceux du secteur du tourisme : ils ont en commun d’être de plus en plus nombreux à céder aux offres alléchantes dans d’autres pays.

La Banque Mondiale, pour sa part, avait souligné le niveau élevé des NEET (jeunes qui ne sont ni dans le système éducatif, ni dans l’emploi, ni en formation, soit un tiers des jeunes ruraux et un cinquième des jeunes urbains) en soulignant que « plus le niveau d’études est élevé, plus le taux de chômage l’est également ».
Quant à notre Institut de la Productivité et des Etudes comparatives, il avance un taux de sous-emploi de 18,9%.

Il paraît donc clair que la question fondamentale pour l’économie tunisienne (du moins à court et moyen terme) est celle de la compétitivité de ses entreprises, de la productivité de ses employés et de l’employabilité des jeunes diplômés – ou comment augmenter l’employabilité des jeunes en préservant/augmentant la compétitivité des entreprises.
Pour le tourisme, on en est à la question de restaurer la compétitivité des entreprises.

Comme l’a annoncé M. Elyes Fakhfakh, les réponses précises viendront après l’état des lieux qu’établira le gouvernement après sa prise de fonction. Nous avons hâte de les connaître.

Lotfi Mansour