Statistiques : la destination va mieux, les hôtels pas encore

Plus d’arrivées qu’en 2010 mais moins de nuitées : le tourisme tunisien va mieux, mais il est toujours convalescent.

 

Des statistiques à la fin du mois d’août, on retiendra la bonne croissance des arrivées des non résidents : elles enregistrent une hausse de 19,4% par rapport à la même période de 2017, et même de 7% par rapport à 2010. Une croissance soutenue essentiellement par le retour des marchés européens, en hausse de 48,6% par rapport à 2017.

Cette hausse des Européens reste, cependant, insuffisante puisque les entrées européennes sont encore en recul aussi bien par rapport à 2014 qu’à 2010 (respectivement – 16,6% et – 36,9%). Ceci explique sans doute le retard non encore comblé dans les nuitées (– 32,9% au 30 juin ; les chiffres ultérieurs ne sont pas encore publiés) et la circonspection des hôteliers.

En effet, le poids des Européens dans les nuitées, et donc dans les recettes des hôtels et de la destination, reste prépondérant (voir tableau ci-dessous) malgré sa baisse depuis 2011. Ainsi, avec seulement 24% des arrivées, les Européens représentaient en 2017 plus de 52% des nuitées (contre 82% en 2010) et près de 60% des recettes touristiques du pays (contre 81% en 2010).

Il faut néanmoins se réjouir de la tendance amorcée cette année d’un rééquilibrage du poids de nos principaux marchés (européen, maghrébin et local) et du retour progressif des produits à haute valeur ajoutée (MICE, thalasso…).

Lotfi Mansour

tableau europe-maghreb




Tourisme : le Maroc oui, mais avec modération

Erigé par nos commentateurs en modèle à suivre, le tourisme marocain est plus exemplaire par ses investissements que par ses recettes et son nombre de touristes. En 2017, l’investissement touristique au Maroc était 6 fois plus élevé qu’en Tunisie.

 

A lire la presse tunisienne, on pourrait penser que le tourisme marocain est le nouveau cache-sexe des commentateurs en mal d’idées et de propositions pour le tourisme tunisien. Sans chiffres ni analyses, les “experts” et “économistes” de tous bords se succèdent pour nous dire qu’“il n’y a qu’à” suivre le modèle marocain. Un modèle qu’ils glorifient à travers ses performances en nombre de touristes et en recettes, sans se donner la peine d’en comprendre les vrais leviers.

 

Modèle marocain : le salut dans l’investissement

Nous sommes, nous aussi, enthousiastes pour le tourisme marocain, mais pour bien d’autres raisons. En effet, en se basant sur les chiffres du World Travel & Tourism Council (WTTC), on constate effectivement que le tourisme marocain a réalisé 4,6 fois plus de recettes que la Tunisie en 2017, et qu’il compte 824 500 emplois directs et 1,9 millions d’emplois au total, contre respectivement 225 000 et 464 000 pour la Tunisie

Mais pour atteindre ces performances, le tourisme marocain a accueilli, pour la seule année 2017, près de 6 fois plus d’investissements que son homologue tunisien, soit 4554,8 millions USD (13,5% du total des investissements du pays) contre 764,6 millions USD en Tunisie (9,7% du total).

 

La voilà, la vraie différence de performances entre les deux destinations : alors que le Maroc investit dans son tourisme, nous nous amusons à lui couper les ailes et à réduire à néant son attractivité pour les investisseurs.

Pire encore, nous colportons et commanditons des campagnes de dénigrement contre le tourisme sous le prétexte de ne pas céder aux hôteliers “arnaqueurs”. Eh bien, ces “arnaqueurs”-là semblent beaucoup plus performants que leurs homologues marocains donnés en exemple, puisque chaque dollar investi dans le tourisme tunisien a rapporté 2,37 USD en recettes touristiques, contre seulement 1,8 USD au Maroc (2017).

 

Côté promotion, le Maroc dépense quelque 60 millions USD par an (objectif Vision 2020 : 140 millions USD environ) pour 5,9 millions de touristes étrangers (notons en effet que 46% des arrivées internationales au Maroc concernent des MRE, Marocains résidents à l’étranger). Ainsi, la dépense en promotion par touriste étranger s’établit au Maroc à plus de 10 USD, alors qu’en Tunisie elle est à moins de 4,5 USD par touriste étranger (moins de 25 millions USD de budget, et 5,7 millions de touristes hors Tunisiens résidents à l’étranger).

Enfin, en Tunisie, la manière dont les recettes du tourisme sont calculées conduit à les minimiser. La Banque centrale tunisienne exclut des recettes touristiques les dépenses des Tunisiens résidents et non résidents, y compris les nuitées hôtelières des Tunisiens (30% du total des nuitées, quelque 300 millions DT par an) et les recettes du tourisme d’affaires, apportées essentiellement par des entreprises implantées en Tunisie (congrès & séminaires, évaluées à 2,7 milliards DT en 2018 par le WTTC). Qu’en-est-il au Maroc où près de la moitié des “touristes” sont des MRE ?

 

Donc malgré nos prix bas hérités de sept années de gabegie dans le pays, malgré nos budgets de promotion riquiqui, et malgré l’endettement et la difficulté de financement des entreprises, les acteurs du secteur ont su limiter la casse et maintenir à flot le tourisme tunisien.

En cette période d’Aïd El Idha, il est bon de dire que nous devrions “revenir à nos moutons” parmi lesquels l’Open Sky, le redressement de Tunisair, les nouvelles normes hôtelières, l’instauration d’un Compte satellite du tourisme, et surtout la relance de l’investissement dans le secteur.

Les attaques contre le tourisme et ses acteurs ne sont que manœuvres dilatoires.

Lotfi Mansour