Réformes : et si on regardait du côté de l’Espagne ?

N’ayant pas tiré les leçons de nos échecs passés, il nous reste à nous inspirer du succès des autres et, à leur tête, l’Espagne. Les effets de la crise du Covid19 seront sans précédent pour le secteur et ses entreprises. On n’aura pas seulement à endiguer les effets d’une énième crise avec des réformettes, mais à refaire les fondations mêmes du secteur.

 

L’histoire du tourisme tunisien des vingt dernières années est celle d’une succession de crises, suivies de bonnes résolutions qu’on s’est vite empressé d’oublier. 2001 (le 11 septembre), 2002 (l’attentat de Djerba), 2008 (la crise économique mondiale), 2011, 2015 et enfin 2019 (Thomas Cook) : aucune de ces secousses ne semble nous avoir suffisamment ébranlés pour nous conduire à remettre en cause nos dogmes, parmi lesquels :
– le tourisme local est un marché d’appoint,
– le face-à-face public/privé est voué à tenir plus du conflit larvé que d’une véritable coopération,
– l’horizon des entreprises de tourisme (dans le réceptif ou l’outgoing) est limité à la Tunisie.

Dans ces trois domaines, l’Espagne est devenue un modèle qui inspire même les plus grandes destinations comme la France (*).

Comment l’Espagne s’est-elle hissée au 2e rang mondial des destinations ? Comment peut-elle se permettre aujourd’hui d’envisager la fermeture de ses frontières aux touristes étrangers jusqu’au mois de septembre ?
Il y a 20 ans, l’Espagne était comme un “modèle agrandi” de notre destination. Elle en avait tous les problèmes : tourisme « Sol y playa » nécessitant de se diversifier, étroite dépendance envers les TO (et notamment de ceux des marchés allemand, anglais et français), forte saisonnalité, groupes hôteliers familiaux nombreux et concentrés en Espagne… etc.
Les réponses apportées ont, depuis, permis la croissance et la pérennisation du tourisme espagnol. Des réponses et des leçons à tirer que nous allons passer en revue en trois articles.

Dans le premier, nous traitons d’abord du poids du marché local.

Le marché local, une assurance tout risque

En Espagne, le marché local représente 50% du PIB du tourisme. Plus de 90% des voyages organisés des Espagnols se font en Espagne même.
Les Tunisiens, eux, étaient 2,5 millions à voyager… à l’étranger en 2018, ce qui représente 30% du total des arrivées internationales. La Omra à elle seule engloutit plus de 50 millions de dinars chaque année.

Le budget moyen des voyages des Espagnols était de 1651 € en 2018, sachant que le PIB/habitant y dépasse les 36000 US$.
En Tunisie, l’allocation touristique autorisée pour chaque Tunisien est de 6000 Dt (soit 2000 €, en plus de celles allouées aux voyages d’affaires ou AVA) pour un PIB par habitant dix fois moindre que celui des Espagnols, soit 3400 US$. Cherchez l’erreur…

Ces chiffres montrent qu’il est temps d’avoir une vraie stratégie pour le tourisme local qui aille de pair avec une vraie volonté de préserver et d’améliorer la balance touristique, donc de préserver des devises chèrement acquises.

Les entreprises de tourisme qui ne répondent ni à l’un ni à l’autre de ces impératifs ne doivent plus bénéficier du statut d’entreprises touristiques, notamment en matière fiscale.
Les autres doivent être davantage soutenues.

Changer la perception du tourisme par les Tunisiens

En complément de cette stratégie de commercialisation sur le marché local, il serait opportun d’engager une réflexion pour que le plus grand nombre de Tunisiens puisse partir en vacances en Tunisie au moins une fois l’année, et ainsi vivre le tourisme au lieu d’en entendre seulement parler dans les médias.

De nos jours, il est de bon aloi de parler de tourisme durable. Pour qu’il le soit en Tunisie, il faudrait d’abord qu’il devienne acceptable par la population locale et donc qu’elle puisse aussi en profiter.
Des idées comme la Bourse Solidarité Vacances (France) sont à méditer.

Lotfi Mansour

A suivre demain : pour un système de gouvernance performant et participatif.

(*) : dès 2010, l’Espagne était devenue un modèle à suivre pour la relance du tourisme, et le ministère français de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi commandait à KPMG une étude portant sur une « analyse comparative des centres de profit des industries touristiques française et espagnole ».