Le discours et la méthode

En quelques mois d’exercice de l’actuel ministre du Tourisme, on sait déjà à quoi s’en tenir : le discours et la méthode sont ceux d’un ministre de Ben Ali, la modestie et la transparence en moins.

Les entrées, encore et toujours
La priorité que donne le Ministre, dans ses déclarations et interviews répétées, aux chiffres des entrées est bien celle de la politique suivie depuis vingt ans. Elle a empêché qu’on s’attaque au problème essentiel du tourisme tunisien qui reste la faiblesse de ses recettes par touriste. Comme nous l’expliquons dans notre dossier sur « la feuille de route » (voir pages 9 à 20), M. Fakhfakh fait même mieux que tous ses prédécesseurs puisqu’il invente un taux de “limitation de la baisse” : « la baisse est en baisse », pourrait-il claironner.
De même, en élaborant la Feuille de route du Tourisme, le Ministre a pris bien soin de passer sous silence (du moins dans les nombreuses interviews qu’il a accordées à ce sujet) l’objectif du « doublement des dépenses moyennes par touriste » inscrit dans la “Stratégie 2016” élaborée en 2010 ; aucune mesure valable n’a été annoncée pour sa réalisation. Plus grave encore, il a laissé de côté la réforme de l’ONTT, qui est un préalable à la réussite de cette stratégie. Parmi les points de cette réforme, inscrit dans l’ancienne version de la Stratégie 2016, on trouve justement la recommandation « d’intégrer des notions économiques en plus des statistiques suivies aujourd’hui ». Ces « notions économiques » sont pourtant sans appel : malgré l’augmentation de nos entrées, la multiplication de nos hôtels et de nos agences de voyages, notre part de marché en termes de recettes n’a cessé de baisser. Plus grave encore, la contribution du tourisme à la croissance économique du pays, qui s’élevait à 1,5% en moyenne dans les années 80, est devenue nulle en 2009, et elle a été négative en 2011 (cf rapport annuel de la BCT).
La question, dans ces conditions, est de savoir à quoi sert une stratégie qui ne s’attaque pas à l’essentiel, c’est-à-dire la rentabilité du secteur et son rôle dans le développement économique du pays.

Main mise sur l’information
Cette manie des chiffres des entrées s’accompagne aussi d’une opacité totale dans la gestion du ministère. Tout passe par le Ministre qui est devenu, en l’espace de quelques semaines, le seul porte-parole du ministère et du secteur. C’est ainsi que l’avalanche d’interviews d’Elyes Fakhfakh s’accompagne d’une absence totale d’information sur la gestion du budget de promotion, et de l’exclusion de la presse des réunions de débats avec les professionnels. Aidé par le mutisme des fédérations professionnelles qui sont plus promptes à lancer des coups de gueule qu’à présenter des dossiers, le Ministre devient la seule et unique source d’information des journalistes, qui n’ont ainsi plus de recoupement à faire.

Immodestie
Pressé de s’imposer et sans doute excédé par les demandes multiples de certains professionnels, Elyes Fakhfakh a cru bon de leur adresser un sermon en leur demandant de « renoncer à l’esprit d’assistanat et d’être proactifs ». Et le Ministre d’illustrer son propos par l’exemple d’un « tour opérateur dirigé par un Tunisien qui travaille sur la Tunisie, et qui s’est montré très proactif » en organisant tout seul un dîner pour
400 personnes, dont des notables locaux.
En fait, cet événement, organisé par Voyamar, à Lyon, a connu un seul couac : le Ministre, invité de marque, s’y est présenté avec deux heures de retard. Les mauvaises langues disent même qu’il était accompagné de deux personnes étrangères au secteur et ne figurant donc pas sur la liste des invités. Au temps de Ben Ali, on savait par expérience que les nombreux invités mystère aux dîners de l’ONTT appartenaient au RCD local ; mais là, personne n’a pu savoir.
Quoi qu’il en soit, la question qu’aurait pu se poser notre ministre à propos du dîner de Voyamar est la suivante : pourquoi la Tunisie reste-t-elle une destination rentable pour les TO – au point qu’ils soient aussi « proactifs » – et ne l’est-elle pas pour ses propres entreprises du tourisme ?